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Domaine public payant : Victor Hugo n’aurait pas voulu ça ! – – S.I.Lex –
Sun Feb 5 17:10:47 2017

Domaine public payant : Victor Hugo n’aurait pas voulu ça !
On 30 avril 2014 par calimaqdans Domaine public, patrimoine commun

Victor Hugo a joué un rôle important dans l’évolution du droit d’auteur à la fin du XIXème siècle, en participant à la fondation de la Société des Gens de Lettres et en initiant le mouvement qui conduisit en 1886, un an après sa mort, à la signature de la Convention de Berne. En 1878 lors d’un Congrès International Littéraire, Hugo prononça deux discours (1,2) dans lesquels il défendit l’idée d’instaurer un domaine public payant. Cette idée, qui revient périodiquement dans le débat sur l’évolution du droit d’auteur, consiste à mettre en place une redevance sur l’exploitation commerciale des oeuvres du domaine public, alors même que la durée de protection des droits patrimoniaux est échue. Plusieurs conceptions différentes de ce système existent, divergeant notamment quant à l’affectation des sommes ainsi récoltées, mais toutes aboutissent à la suppression d’une des libertés fondamentales rendues possibles par le domaine public : celles de puiser dans le fonds commun des oeuvres anciennes pour les rééditer, les adapter et les exploiter à nouveau en alimentant ainsi le cycle continu de la création.
hugo
Victor Hugo, par Auguste Rodin. Photo par B.S. Wise. CC-BY-NC. Source : Flickr.

La question du domaine public payant est revenue sur le devant de la scène en France lors des auditions conduites par la mission Lescure. La SACD notamment, par le biais de son directeur général Pascal Rogard, avait alors réclamé la mise en place de redevances sur l’exploitation des oeuvres du domaine public audiovisuel. Mais la mission Lescure n’a pas retenu cette idée et au contraire, son rapport final a même recommandé d’introduire une définition positive du domaine public dans le Code de propriété intellectuelle pour en renforcer la protection. Il semble bien d’ailleurs que le Ministère de la Culture travaille toujours sur cette piste en vue de la future loi sur la Création.

Mais cela n’est visiblement pas suffisant pour désarmer les revendications des sociétés de gestion collective qui agissent toujours pour remettre le domaine public payant sur le devant de la scène. Le 17 avril dernier, l’ADAMI (société représentant les artistes-interprètes) a ainsi organisé une table ronde lors de ces rencontres européennes, intitulée « Domaine public : la règle ou l’exception ? ». Les échanges ont largement porté sur cette question du domaine public payant, défendue par plusieurs orateurs à la tribune. Et en introduction de ce débat, une lecture du fameux discours de Victor Hugo a été donnée par l’acteur Pierre Santini, pour convoquer l’esprit du grand homme au soutien de cette idée.

L’intégralité du débat est accessible en vidéo sur le site de Romaine Lubrique, et vous pouvez lire un compte-rendu sur Next INpact, ainsi qu’une belle réaction chez l’auteur Neil Jomunsi. Je voudrais moi aussi contribuer à ce débat en essayant de retourner au plus près des propos de Victor Hugo, pour essayer de discerner quelle était vraiment sa position sur ce sujet. Car comme c’est hélas souvent le cas, on ne cite ces discours que par morceaux et par bribes, qui finissent par en mutiler le sens. Victor Hugo se retrouve alors « embrigadé » du côté du domaine public payant tel que l’entendent les sociétés de gestion collective actuelles, alors que sa pensée sur la question était beaucoup plus nuancée que l’on veut bien nous le faire croire. La réalité ne correspond pas aux images d’Épinal que l’on cherche à nous faire avaler, à l’image des propos à l’emporte pièce et des simplifications historiques grossières dont un personnage comme Pascal Rogard s’est fait une spécialité :

[tweet https://twitter.com/fandoetlis/status/456459154521993217]

Avant Hugo, certains ont aussi cherché à faire de Jean Zay un champion du domaine public payant, mais j’ai déjà eu l’occasion de montrer que c’était faux et qu’au contraire, Jean Zay souhaitait étendre le domaine public en l’anticipant. Pour Victor Hugo, les choses sont différentes : il défend bien l’idée d’un domaine public payant, mais il partage pourtant certains points communs avec  Jean Zay  dans la mesure où il réclamait l’instauration d’un « domaine public immédiat ». Nos très chères sociétés de gestion collective se gardent bien de rappeler cela et je serais très étonné qu’elles soutiennent une telle proposition, pourtant fort judicieuse ! Par ailleurs, Victor Hugo assignait un but précis au domaine public payant : non pas constituer une rente perpétuelle au profit des ayants droit des auteurs, mais servir au financement des jeunes créateurs pour les aider à prendre leur essor.

Et il faut bien reconnaître qu’Hugo, par une de ces fulgurances dont il est coutumier, touchait là à une question absolument essentielle, peut-être même la question la plus importante que nous devons nous poser à propos de l’avenir de la création. Quels moyens une société doit-elle consacrer pour favoriser en son sein l’émergence de nouveaux créateurs ? Or si l’idée d’un domaine public payant pouvait peut-être avoir du sens à la fin du XIXème siècle, vous allez voir qu’il n’en est plus de même aujourd’hui, notamment parce que la proportion de créateurs effectifs et potentiels dans la société s’est grandement accrue. Internet a mis dans les mains de la population des moyens de création à une échelle sans précédent dans l’histoire, ce qui bouleverse complètement la donne. Dans ces conditions, le domaine public payant serait inefficace et même l’une des pires choses à faire. A moins que l’on ne cherche à conserver l’émergence de nouveaux auteurs sous contrôle étroit, ce qui est derrière leurs discours « généreux » constitue le but réel des sociétés de gestion collective.

Une grande idée : le « domaine public immédiat » de Victor Hugo

Quand on lit les discours de Victor Hugo sur le domaine public payant (et notamment celui-ci), on se rend compte que Victor Hugo est sans doute en réalité l’auteur des plus belles pages qui soient sur le domaine public et le défenseur remarquable d’une conception équilibrée entre les droits d’auteur et les droits du public, directement héritée de l’esprit de la Révolution française. Il prône certes un domaine public payant, mais il demande aussi l’instauration d’un « domaine public immédiat », en faisant une nette distinction entre les droits de l’auteur de son vivant et ceux qui appartiendront ensuite à ses descendants après sa disparition. Son idée est que les droits des héritiers doivent être réduits à un droit à toucher une redevance pour l’exploitation de l’oeuvre, mais qu’ils ne devraient pas pouvoir exercer un contrôle sur l’oeuvre, que n’importe quel éditeur devrait pouvoir exploiter sans autorisation. Hugo demande donc pour les héritiers la transformation du droit exclusif en un simple droit à une rémunération. C’est particulièrement lumineux dans ce passage magnifique :

    L’héritier du sang est l’héritier du sang. L’écrivain, en tant qu’écrivain, n’a qu’un héritier, c’est l’héritier de l’esprit, c’est l’esprit humain, c’est le domaine public. Voilà la vérité absolue.

    Les législateurs ont attribué à l’héritier du sang une faculté qui est pleine d’inconvénients, celle d’administrer une propriété qu’il ne connaît pas, ou du moins qu’il peut ne pas connaître. L’héritier du sang est le plus souvent à la discrétion de son éditeur. Que l’on conserve à l’héritier du sang son droit, et que l’on donne à l’héritier de l’esprit ce qui lui appartient, en établissant le domaine public payant, immédiat.

Comme j’avais eu l’occasion de le dire au sujet des propositions que Jean Zay avait voulu introduire en 1936 dans son projet de réforme du droit d’auteur, on est en présence ici d’un « domaine public anticipé », puisque certains des effets du passage des oeuvres dans le domaine public sont déclenchés alors même que les droits patrimoniaux n’ont pas encore couru sur toute leur durée.

Mais sur cette voie, Hugo va plus loin encore. Il estime en effet que le droit moral ne doit pas perdurer au-delà de la mort de l’auteur, car ses descendants n’ont pas de titre à agir en son nom après sa disparition.

    L’auteur donne le livre, la société l’accepte ou ne l’accepte pas. Le livre est fait par l’auteur, le sort du livre est fait par la société. L’héritier ne fait pas le livre ; il ne peut avoir les droits de l’auteur. L’héritier ne fait pas le succès ; il ne peut avoir le droit de la société […] Avant la publication, l’auteur a un droit incontestable et illimité […] Mais dès que l’œuvre est publiée l’auteur n’en est plus le maître. C’est alors l’autre personnage qui s’en empare, appelez-le du nom que vous voudrez : esprit humain, domaine public, société. C’est ce personnage-là qui dit : Je suis là, je prends cette œuvre, j’en fais ce que je crois devoir en faire, moi esprit humain ; je la possède, elle est à moi désormais.

Voilà une conception ô combien audacieuse et qui serait parfaitement salutaire, quand on voit par exemple comment des ayants droit comme ceux d’Hergé sont capables d’abuser du droit « moral » pour exercer une censure systématique sur les usages d’une oeuvre qu’ils n’ont pas créée !

Domaine public immédiat, liberté d’exploitation de l’oeuvre aussitôt l’auteur disparu et limitation de la portée dans le temps du droit moral : voilà qui change singulièrement la figure de Victor Hugo par rapport à la caricature qui nous en est généralement servi. On comprend mieux dès lors que Victor Hugo ait pu prononcer des citations comme celle qui suit, figurant dans cet autre discours sur le domaine public payant :

    Le principe est double, ne l’oublions pas. Le livre, comme livre, appartient à l’auteur, mais comme pensée, il appartient — le mot n’est pas trop vaste — au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l’un des deux droits, le droit de l’écrivain et le droit de l’esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes, le droit de l’écrivain, car l’intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous.

Mais un domaine public payant et une redevance d’usage perpétuelle…

Là où Hugo et Jean Zay diffèrent cependant, c’est que ce dernier envisageait une période de 10 ans après la mort pendant laquelle les descendants de l’auteur pourraient continuer à contrôler l’exploitation de l’oeuvre, puis une période de « domaine public anticipé » pendant laquelle l’exploitation deviendrait libre à condition de verser une redevance, jusqu’à l’expiration des droits patrimoniaux (50 ans après la mort de l’auteur), moment auquel l’oeuvre serait entrée dans le domaine public « complet », tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Hugo de son coté envisage les choses autrement : son domaine public anticipé est « immédiat », dès la disparition de l’auteur les descendants perdent le droit d’autoriser et d’interdire (et même l’exercice du droit moral), mais ils conservent un droit à la rémunération en cas d’exploitation commerciale. Et ce droit serait « perpétuel », sans limite dans le temps, ce qui fait que l’oeuvre n’entrerait jamais plus dans un « domaine public complet » :

    Supposons le domaine public payant, immédiat, établi.

    Il paie une redevance. J’ai dit que cette redevance devrait être légère. J’ajoute qu’elle devrait être perpétuelle.

Hugo introduit encore par la suite une distinction. Pour lui, seuls les héritiers directs doivent pouvoir bénéficier de cette redevance, c’est-à-dire le conjoint et la première génération d’enfants, mais pas les suivantes :

    S’il y a un héritier direct, le domaine public paie à cet héritier direct la redevance ; car remarquez que nous ne stipulons que pour l’héritier direct, et que tous les arguments qu’on fait valoir au sujet des héritiers collatéraux et de la difficulté qu’on aurait à les découvrir, s’évanouissent.

L’idée ici encore paraît judicieuse, car elle évite que le droit d’auteur ne se transforme en une rente perpétuelle au profit des descendants successifs, qui finissent par avoir un lien de plus en plus ténu avec le créateur original. Par ailleurs, cela montre qu’aux yeux d’Hugo, le droit d’auteur est certes une propriété, mais d’une nature différente de celle de la propriété des biens physiques qui, elle, se transmet sans fin dans le temps aux descendants.

Chez Hugo, la redevance sur l’exploitation est perpétuelle, mais après la disparition des descendants directs, elle est réaffectée vers un but social, celui de l’aide aux jeunes créateurs :

    Rien ne serait plus utile, en effet, qu’une sorte de fonds commun, un capital considérable, des revenus solides, appliqués aux besoins de la littérature en continuelle voie de formation. Il y a beaucoup de jeunes écrivains, de jeunes esprits, de jeunes auteurs, qui sont pleins de talent et d’avenir, et qui rencontrent, au début, d’immenses difficultés. Quelques-uns ne percent pas, l’appui leur a manqué, le pain leur a manqué […] Mais supposez que la littérature française, par sa propre force, par ce décime prélevé sur l’immense produit du domaine public, possède un vaste fonds littéraire, administré par un syndicat d’écrivains, par cette société des gens de lettres qui représente le grand mouvement intellectuel de l’époque ; supposez que votre comité ait cette très grande fonction d’administrer ce que j’appellerai la liste civile de la littérature. Connaissez-vous rien de plus beau que ceci : toutes les œuvres qui n’ont plus d’héritiers directs tombent dans le domaine public payant, et le produit sert à encourager, à vivifier, à féconder les jeunes esprits !

    Y aurait-il rien de plus grand que ce secours admirable, que cet auguste héritage, légué par les illustres écrivains morts aux jeunes écrivains vivants ?

Les mots qui expriment cette idée sont beaux et l’intention l’est aussi. J’ai déjà dit plus haut qu’elle me paraît parfaitement légitime.  Mais la mise en oeuvre d’un tel système aboutirait au démantèlement du concept même de domaine public et à celui de la liberté dont il est le support. Il n’est pas moins légitime que les générations futures puissent aller puiser dans les oeuvres anciennes en toute liberté pour produire de nouvelles créations dérivées  y compris en faisant un usage commercial. Cette circulation des oeuvres est un des moteurs essentiels de la création et de la transmission des oeuvres dans le temps. Il a d’ailleurs été prouvé que l’exploitation commerciale du domaine public jouait un rôle de premier plan dans la diffusion des oeuvres anciennes. Elle génère aussi de l’activité économique qui profite de manière indirecte à la société toute entière et favorise l’innovation créatrice.

Victor Hugo a raison de vouloir soutenir les jeunes créateurs, mais il se trompe dans le moyen pour y parvenir. C’était sans doute déjà le cas à la fin du XIXème siècle, mais cela le serait plus encore aujourd’hui.
D’autres financement mutualisés sont possibles pour soutenir la création

L’intention de Victor Hugo n’était pas d’aligner le fonctionnement du droit d’auteur sur le droit de propriété privée personnelle, mais au contraire d’instaurer avec cette redevance un nouveau droit social, affecté aux jeunes créateurs. On est en réalité devant une forme de financement mutualisé pour la création, alimentant un « fonds curatorial » dont Victor Hugo souhaite confier la gestion à une société d’auteurs (La SGDL par exemple).

A l’époque de Victor Hugo, rien de tel n’existait et les auteurs ne pouvaient compter pour vivre que sur les revenus du produit de l’exploitation de leurs oeuvres. Mais les choses ont changé depuis et le temps a montré que l’on pouvait mettre en place des financements mutualisés sans passer par une redevance sur le domaine public. C’est le cas par exemple aujourd’hui pour la redevance pour copie privée, perçue sur les supports vierges et certains matériels, dont les sommes perçues sont reversées aux sociétés de gestion collective avec 25% consacré au financement d’actions culturelles. Pour ce qui concerne le livre, une partie de la redevance pour copie privée est redirigée vers le Centre National du Livre qui s’en sert notamment pour soutenir la création d’oeuvres par des auteurs. Toujours au chapitre de la mise en place de « droits sociaux » pour les auteurs par le biais de financements mutualisés, on peut citer les rémunérations versées par les bibliothèques au titre du droit de prêt public, qui alimentent en partie une caisse de retraite pour les auteurs. Il y a certainement beaucoup de choses à redire sur la manière dont ces fonds sont gérés actuellement par les sociétés de gestion collective, mais ces dispositifs montrent que l’on peut mettre en place des soutiens à la création sans passer par un domaine public payant. Victor Hugo n’a pas vu cela.

Victor Hugo parle en outre d’un « immense produit du domaine public » et d’un « vaste fonds littéraire« , mais il y a tout lieu de penser que le produit de cette redevance sur le domaine public serait sans doute modeste et assurément complexe et coûteux à prélever, avec une faible rentabilité à la clé. Victor Hugo dit aussi qu' »il y a beaucoup de jeunes écrivains, de jeunes esprits, de jeunes auteurs, qui sont pleins de talent et d’avenir, et qui rencontrent, au début, d’immenses difficultés« , mais qu’aurait-il dit alors s’il avait vu l’époque actuelle ! Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire dans un autre billet, nous sommes aujourd’hui confrontés à une situation de profusion des auteurs, les moyens de création ayant été mis entre les mains d’une part de plus en plus large de la population. L’aspiration à la création est immense, comme le révèlent les chiffres. Un sondage récent indiquait par exemple que 64% des français sont prêts à publier un ouvrage sur Internet. Ce mouvement de fond se donne à voir dans la profusion des pratiques créatives amateurs sur Internet, au développement du phénomène de l’auto-édition ou à la multiplication des YouTubeurs. Nous sommes ainsi graduellement en train de passer d’une société ouvrière à une société « oeuvrière », selon la belle expression créée par Jérémie Nestel. Voilà la vraie révolution induite par le numérique dans le champ de la Culture et ce nouvel état des choses nous oblige à penser une économie de l’abondance des contenus, mais surtout de l’abondance des auteurs, et c’est face à cette explosion que le domaine public payant se révèlerait complètement inadapté.
Inventer de nouveaux financements pour la création dans une société oeuvrière

Comme je l’ai dit plus haut, le produit d’une redevance levée sur l’exploitation du domaine public serait sans doute peu élevé et complexe à récolter. Sans doute les sociétés de gestion collective y voient-elles un moyen commode de prolonger la croisade contre la gratuité qu’elles mènent par ailleurs pour des raisons idéologiques, mais en terme de financement concret pour les jeunes créateurs, il ne s’agirait nullement d’une solution crédible.

Le vrai défi est de savoir comment donner les moyens à une part croissante de la population de développer des compétences créatives, en y consacrant le temps nécessaire et en lui donnant accès à des canaux de diffusion appropriés pour toucher un public. Les transformations qui affectent nos sociétés sont si profondes que certains réfléchissent à des solutions beaucoup plus globales de financement, comme Bernard Stiegler qui envisage une extension du statut d’ intermittent du spectacle à tous les « contributeurs » :

    Dans cette perspective, il ne faut surtout pas détruire le statut d’intermittent du spectacle mais au contraire… le généraliser, en proposant à tout le monde un revenu contributif de base. Je puis alors alterner et passer d’un statut où je suis en train de développer mes capacités à un statut de mise en production de ces capacités acquises (comme pour l’intermittence).

Et pour lui, un tel système pourrait constituer une alternative au droit d’auteur :

    Le statut d’intermittent apparaît donc comme une solution à la question du droit d’auteur si on le généralise. En accordant un revenu contributif à l’auteur, on n’a plus besoin de cette rente patrimoniale bourgeoise que représente le droit d’auteur aujourd’hui.

    Dès lors, il faut être non pas défensif, mais offensif : non pas défendre le statut d’intermittent auprès de la société du spectacle, mais partir à l’attaque de la société avec ce statut d’intermittent.

Les propositions de contribution créative que porte La Quadrature du Net constitue une autre piste de financement qui est pensée pour être applicable aux créateurs amateurs comme professionnels, et qui permettrait aux auteurs postant des contenus en ligne de dégager progressivement un revenu. La question de l’adaptation des politiques culturelles à la situation de prolifération des auteurs est au cœur des préoccupations de Philippe Aigrain dans sa réflexion sur le finacement de la création :

    Contribuer demande du temps, des compétences dont l’acquisition demande également du temps et souvent de l’argent, et parfois des moyens de production. Si nous rejetons l’hypothèse du maintien de la rareté des copies […] ou de l’institution d’une pure logique de l’accès […], quels sont les nouveaux mécanismes qui peuvent accompagner la mise en place d’une société culturelle de beaucoup vers tous ? […]

    Quels nouveaux mécanismes peuvent compléter les financements publics alimentés par l’impôt, l’investissement privé et la distribution des revenus marchands ? Les réponses se situent dans différentes formes de mutualisation […]  : la mutualisation volontaire du financement et de la rémunération participative [crowdfunding], la mutualisation organisée par la puissance publique à l’échelle d’une société et gérée par les contributeurs [contribution créative] et enfin le revenu minimal d’existence.

On le voit, la question des droits sociaux devant être institués pour aider les nouveaux créateurs dans une société comme la notre est cruciale. Hugo la posait déjà au XIXème siècle avec raison, mais les termes de l’équation ont complètement changé aujourd’hui. Le domaine public payant qui aurait peut-être apporté une pierre à l’édifice en 1880 ne constitue plus du tout un moyen crédible de répondre aux besoins de notre époque. Pire, il pourrait être instrumentalisé par les titulaires de droits pour servir des fins complètement opposées à celles que visait Hugo.
Un instrument de violence symbolique au service de la reproduction d’une « caste »

Si le domaine public payant était institué aujourd’hui sous la forme qu’envisageait Victor Hugo, nous aurions donc un fonds, sans doute limité, qui passerait entre les mains d’une société d’auteurs professionnels – mettons la SGDL – et dont l’attribution à des « jeunes créateurs » serait laissée à la discrétion de cette structure. Que se passerait-il alors ? Comment une telle société pourrait-elle choisir dans la profusion des nouveaux auteurs potentiels ceux qui mériteraient de recevoir des moyens supplémentaires pour émerger ? Une société comme la SGDL comporte essentiellement des auteurs insérés dans les rouages traditionnels de l’édition, c’est-à-dire une catégorie d’auteurs bien particulière et nullement représentative de la multitude des créateurs empruntant de nouvelles voies sur Internet. Comment penser qu’une telle société pourrait agir autrement qu’en privilégiant des auteurs proches de ses membres ? On aboutirait mécaniquement à une « reproduction » par co-optation, permettant à une certaine élite appuyée par l’État d’assurer dans le temps sa propre perpétuation. Un véritable système de violence symbolique organisée verrait le jour, adoubant quelques nouveaux entrants d’une qualité « d’auteur » dont ils seraient les maîtres. Voilà à quoi servirait essentiellement le sacrifice de la liberté offerte par le domaine public ! Le domaine public payant servirait au final à alimenter et à aggraver un système de caste culturelle ! Et ne doutons pas un seul instant que les sociétés de gestion collective qui défendent actuellement cette idée en sont tout à fait conscientes !

Rien ne serait en fait plus redoutable pour la diversité de la création qu’un tel système qui servirait non pas à financer « les jeunes créateurs », mais « certains jeunes créateurs » seulement. Ces messieurs de la SGDL iraient-ils financer par exemple des Neil Jomunsi ou des Pouhiou dont ils ignorent sans doute jusqu’à l’existence ? Tous ces auteurs qui choisissent en ligne la voie de l’indépendance, soyons assurés qu’ils seraient exclus des fruits de ce domaine public payant…

Cette semaine, j’ai été frappé par la lecture de ce billet publié par Thomas Meunier, un auteur indépendant, dans lequel il explique pourquoi « cela vaut la peine » de créer librement en ligne en publiant ses écrits directement sur la Toile :

    Si nous diffusons notre art en indépendant, parfois nous nous disons : « A quoi bon gaspiller mon énergie à diffuser, et promouvoir mon œuvre moi-même alors qu’un producteur ou un éditeur peut le faire mieux que moi ? ». Parce que l’indépendance redonne le pouvoir aux créatifs. Parce que l’indépendance transmet l’idée que chacun peut produire sa propre culture. Que nous n’avons pas besoin d’être cooptés, que nous pouvons nous adresser au public directement plutôt que d’attendre qu’un tiers donne son aval parce qu’il possède le culot, l’argent, le diplôme ou le média de masse.

    Si nous fabriquons notre art nous-même, parfois nous nous disons : « A quoi bon gaspiller mon argent à fabriquer moi-même quelque chose qu’une chaîne de production ferait pour moi mieux, plus vite et moins cher ? ». Parce qu’en fabriquant notre art nous-même, nous réinventons l’art, un art déconnecté de la notion d’économie d’échelle, de standards, de règles. Nous participons à l’idée que chacun peut produire une œuvre d’art, quelque soit ses compétences, son milieu, son matériel, son argent.

Voilà exactement ce que veulent étouffer ceux qui poussent cette idée de domaine public payant. Ils cherchent à faire coup double : faire disparaître la gratuité du domaine public au nom de la conception maximaliste de la propriété intellectuelle qu’ils défendent et instaurer une source rare de financement pour les jeunes créateurs, afin que ceux-ci demeurent tout aussi rares et triés sur le volet !
***

Voilà pourquoi il faut s’opposer avec la dernière énergie à cette idée fétide de domaine public payant. Que penserait Victor Hugo de ceux qui instrumentalisent ainsi sans vergogne aujourd’hui sa pensée ? Quand je me replonge dans les discours de Victor Hugo, je suis certain qu’il se réjouirait profondément de voir la capacité d’écrire plus largement répandue aujourd’hui que jamais grâce à Internet :

    Ah ! la lumière ! la lumière toujours ! la lumière partout ! Le besoin de tout c’est la lumière. La lumière est dans le livre. Ouvrez le livre tout grand. Laissez-le rayonner, laissez-le faire. Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout ; enseignez, montrez, démontrez ; multipliez les écoles ; les écoles sont les points lumineux de la civilisation.

Victor Hugo était un chantre de l’abondance. Dans « Ceci tuera cela », ce chapitre extraordinaire de « Notre Dame de Paris », il a écrit les plus beaux mots qui soient pour décrire la rupture introduite par l’imprimerie dans l’histoire :

    Quand on cherche à recueillir dans sa pensée une image totale de l’ensemble des produits de l’imprimerie jusqu’à nos jours, cet ensemble ne nous apparaît-il pas comme une immense construction, appuyée sur le monde entier, à laquelle l’humanité travaille sans relâche, et dont la tête monstrueuse se perd dans les brumes profondes de l’avenir ? C’est la fourmilière des intelligences. C’est la ruche où toutes les imaginations, ces abeilles dorées, arrivent avec leur miel. L’édifice a mille étages, Çà et là, on voit déboucher sur ses rampes les cavernes ténébreuses de la science qui s’entrecoupent dans ses entrailles. Partout sur sa surface l’art fait luxurier à l’oeil ses arabesques, ses rosaces et ses dentelles.

Fourmilière des intelligences, ruche des imaginations… Qu’aurait dit Victor Hugo s’il avait vu l’avènement d’Internet, qui permet pour la première fois à toutes ces intelligences de se connecter et qui est la réalisation même du plein potentiel du domaine public pour la diffusion de la connaissance ? Quand Benjamin Bayart dit si justement « L’imprimerie a permis au peuple de lire ; Internet va lui permettre d’écrire », il marche dans les pas de Hugo.

Ne laissons surtout pas Victor Hugo à des Pascal Rogard et à tous ceux qui se rêvent en fossoyeurs du domaine public ! Son héritage ne leur appartient pas. Le domaine public payant d’Hugo n’était pas la bonne solution, mais il restait noble ; le leur n’en est plus qu’une caricature grossière et cynique.
https://scinfolex.com/2014/04/30/domaine-public-payant-victor-hugo-naurait-pas-voulu-ca/
Tout le monde veut la peau de la directive «travailleurs détachés» - Libération
Wed Jan 18 21:13:00 2017
 Tout le monde veut la peau de la directive «travailleurs détachés»
Par Cédric Mathiot — 18 janvier 2017 à 15:36
27% des travailleurs détachés travaillent dans le BTP. Photo Philippe Huguen. AFP
Alors que le nombre de travailleurs détachés a décuplé en France en dix ans, le texte de 1996 est la cible de la quasi-totalité des candidats à la présidentielle. Parfois dans une certaine confusion juridique.

    Tout le monde veut la peau de la directive «travailleurs détachés»

C’est un des rares sujets qui mettra tout le monde d’accord, ou presque, pendant la campagne. De Montebourg à Fillon en passant par Valls, Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. La directive détachement doit être profondément modifiée, voire abrogée ou suspendue unilatéralement.
Qu’est ce qu’un travailleur détaché ?

Un travailleur détaché est un salarié envoyé par son employeur dans un autre Etat en vue d’y fournir un service à titre temporaire. Contrairement aux travailleurs mobiles de l’UE qui s’installent dans un autre Etat membre pour y travailler ou chercher un emploi, les travailleurs détachés ne séjournent que temporairement dans le pays d’accueil et n’intègrent pas le marché du travail du pays. On compte un peu moins de 2 millions de travailleurs détachés dans l’UE. La France est tout à la fois un des pays qui en accueille le plus (285 000 en 2015) mais qui détache aussi le plus de travailleurs (autour de 120 000 à 200 000 selon les estimations). Selon un rapport récent, la durée moyenne du détachement des travailleurs étrangers en France est de 47 jours. En 2015, la Pologne était le principal pays d’origine des salariés détachés en France (48 816 salariés), suivie du Portugal (44 446), de l’Espagne (35 231) et de la Roumanie (30 594). Les travailleurs détachés sont à 83% des ouvriers. En 2015, 27% des déclarations de détachement concernaient le BTP, 25% les entreprises de travail temporaires, et 16% l’industrie.
Que prévoit la directive détachement ?

La directive détachement (qui n’a rien à voir avec la directive Bolkestein) a été votée en 1996. Contrairement à ce qu’on entend bien souvent, ce texte n’a pas instauré le dumping social en Europe, puisqu’il visait au contraire à lutter contre la concurrence intra-européenne, en réaction au premier élargissement (Espagne, Portugal) intervenu dix ans auparavant. Pour éviter le dumping, la directive de 1996 a donc imposé pour le travailleur détaché le respect d’un «noyau dur» de règles : salaire minimum du pays d’accueil, temps de travail, congés payés et questions de santé, sécurité et hygiène au travail. Ce qui ne veut pas dire que les détachés sont payés au même salaire que les travailleurs locaux (qui peuvent être payés au-delà du salaire minimum).

Une critique régulièrement formulée est que la directive permet aux détachés de cotiser dans leur pays d’accueil. Ce qui est une grosse confusion. En réalité, le rattachement des travailleurs détachés au régime social de leur pays d’origine n’a rien à voir avec la directive détachement en elle-même. C’est un principe qui préexiste largement à 1996 et dépend d’un règlement de 2004. Le principe du rattachement du travailleur détaché à son régime de sécurité sociale d’origine date même du début des années 60. Il s’agissait de permettre la mobilité des travailleurs dans l’Europe et d’éviter pour les travailleurs effectuant des courtes missions à l’étranger les entrées et sortie d’un régime de sécurité sociale.
De plus en plus de détachés, de plus en plus de fraudes

Tout le monde reconnaît que la directive, adoptée il y a vingt ans, n’est plus adaptée à l’Europe actuelle, qui a été bouleversée par les élargissements de 2004 et 2007. Le nombre de travailleurs détachés a explosé. En France, il a décuplé depuis dix ans. De quelque 26 000 travailleurs détachés déclarés en 2005, il est passé à 285 025 salariés en 2015. Au niveau de l’Union, on comptait 600 000 détachés en 2007. Un nombre qui est passé à 1,3 million en 2010 et 1,9 million en 2014.

Les écarts salariaux au sein de l’Union européenne s’étirent de 1 à 10 alors qu’ils allaient de 1 à 3 avant l’élargissement de 2004. Et la moitié des détachements s’opèrent en provenance de pays à bas salaires vers des pays à plus haut salaire (essentiellement la France, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas). Une étude récente de la Commission note dans plusieurs pays une substitution des travailleurs locaux par des travailleurs détachés.

Il s’agit là du pan légal, c’est-à-dire des travailleurs déclarés. Mais en plus des travailleurs déclarés, la France compterait selon divers rapports environ 200 000 détachés illégaux. Par ailleurs, les avis sont unanimes pour dénoncer la hausse des fraudes, qui peuvent concerner les déclarés comme les illégaux. Les fraudes les plus simples consistent à tricher sur le respect des règles de rémunération du pays d’accueil, à facturer aux travailleurs détachés le logement ou le transport, de manière à rogner sur leur rémunération réelle. Les fraudes les plus sophistiquées passent par des montages, des sous-traitances en cascades, ou bien l’immatriculation d’entreprises dans des pays dans lesquels les cotisations sont basses (mais où l’entreprise n’a aucune activité), de manière à détacher fictivement des salariés dans d’autres pays tout en bénéficiant d’un faible niveau de cotisations. Bref, il y a le feu.
Une directive réformée… trop peu et trop tard ?

Face à l’explosion du détachement, frauduleux ou pas, sur fond de crise économique globale, générant l’exaspération dans plusieurs pays européens, l’Europe a – bien tardivement – réagi. La Commission a pris en 2012 l’initiative d’une modification a minima, passant par une directive d’exécution, c’est-à-dire un texte visant à renforcer l’application de la directive d’origine. L’idée d’alors est que la directive elle-même était suffisante, mais que sa non-application et les fraudes posaient problème. Suite à une négociation serrée, opposant les tenants d’une plus grande sévérité (France, Allemagne) à ceux de contrôles a minima (Royaume-Uni en tête), un accord a finalement été arraché, prévoyant essentiellement de nouveaux outils de contrôles et de sanctions pour faire face à des formes élaborées de fraudes au détachement et de travail illégal. Rien sur le fond du texte. En France, cet arsenal s’est doublé d’un renforcement des sanctions via la loi Macron.

Cette révision a été jugée insuffisante. Sept gouvernements, dont la France, ont appelé en juin 2015 à une nouvelle révision de la directive dans une lettre adressée à la Commissaire européenne à l’emploi et aux affaires sociales, Marianne Thyssen. En mars 2016, la commissaire belge à l’emploi et aux affaires sociales a proposé une nouvelle révision de la directive. Fait nouveau : la Commission reconnaît désormais l’existence d’un problème de fond.

La proposition de révision entend cette fois modifier la directive d’origine, en défendant la règle «à travail égal, salaire égal dans un même lieu». Ainsi les entreprises ne pourraient plus se contenter de rémunérer les travailleurs détachés au salaire minimum (comme prévu dans le texte de 1996), mais devraient payer les détachés comme les locaux. Les détachés bénéficieraient également des primes et indemnités accordées aux travailleurs nationaux. L’étude d’impact de la Commission indique ainsi que le coût salarial mensuel d’un ouvrier polonais dans le bâtiment détaché en France pourrait passer de 1 587 à 1 960 euros, ce qui resterait cependant en deçà du coût d’un salarié français (2 146 euros). Les détachements ne pourraient excéder deux ans.

La proposition de révision de la directive détachement a vivement divisé l’Union européenne. D’un côté les pays de l’Ouest, de l’autre, ceux de l’Est, principaux pourvoyeurs de travailleurs détachés. Onze pays européens, dont dix d’Europe de l’Est, ont tenté, en vain, de bloquer la proposition en brandissant un «carton jaune». Le débat se poursuit aujourd’hui.
Qu’en disent les principaux candidats ?

Tout le monde est d’accord sur le fait que le statu quo ne peut durer. Mais la sévérité de la riposte varie.

Dans le camp des opposants de toujours, Marine Le Pen demandait déjà la suppression du texte en 2013. La présidente du FN exige toujours la suspension unilatérale de l’application du texte, déplorant le paiement des cotisations dans le pays d’origine.

Jean-Luc Mélenchon est sur une position semblable, et constante : dès 2014, il critiquait la réforme de la directive : «Les négociations entre les différentes institutions avancent sans que rien ne soit changé au fond de l’affaire : les entreprises ne paient pas les cotisations sociales sur le lieu où elles emploient des travailleurs.» En juillet 2016, il a encore haussé le ton : Un travailleur détaché […] vole le pain aux travailleurs qui se trouvent sur place».

Idem pour Nicolas Dupont-Aignan qui déclarait récemment : «L’abrogation de la directive travailleurs détachés permettrait de récupérer 500 000 emplois.»

Arnaud Montebourg est le dernier du groupe des abolitionnistes. Il est aussi le plus remonté des candidats à la primaire de gauche. Ministre du redressement productif, il était (solidarité gouvernementale oblige ?) sur un discours mesuré : en février 2014, sur RTL, il se félicitait de la révision – «Nous venons de faire renégocier cette directive, c’est une de nos victoires.» Son départ du gouvernement lui a délié la langue. Deux ans plus tard, sur les mêmes ondes de RTL, le verbe est plus incisif. Voilà ce qu’il déclarait en mai : «Une politique de patriotisme économique, cela consisterait à suspendre unilatéralement la directive des travailleurs détachés, qui permet à des travailleurs sans protection sociale de l’Europe de l’Est de venir travailler selon la loi de leur pays d’origine. Ce n’est plus acceptable. Nous avons des millions de chômeurs. Les 300 000, au bas mot, travailleurs détachés que nous faisons venir dans le BTP, dans les transports, posent d’énormes problèmes à notre pays.»

François Fillon aussi a durci son discours. S’il ne demande pas de suspension de la directive, il exige une modification profonde des conditions du détachement. A Nice, il a ainsi exigé l’alignement des salaires des détachés, mais aussi des cotisations. «La directive sur les travailleurs détachés a progressivement installé sur notre territoire un véritable dumping social au cœur de l’Europe. C’est le cas dans le transport par camion, dans la construction où des milliers d’emplois français sont concurrencés de façons inéquitables. Nous renégocierons cette directive et je ne céderai pas sur un principe : en Europe, pour un travail égal, le salaire doit être égal et les cotisations sociales aussi.»

Benoît Hamon plaide une révision proche de celle proposée par la Commission : «La directive sur les travailleurs détachés sera révisée pour garantir le respect du principe "à travail égal, salaire égal" : lutte contre la fraude des sous-traitants, renforcement des inspections du travail et des contrôles sur les chantiers.»

Comme Hamon, Vincent Peillon demande que la révision de la directive détachement soit reprise et conduite à son terme.

Yannick Jadot, lui, défend la révision de la directive «A travail égal, salaire égal».

Manuel Valls ne s’est pas exprimé sur le sujet dans la campagne. Mais en juillet 2016, devant l’opposition des pays de l’Est (notamment) à une nouvelle révision de la directive, Valls, encore Premier ministre, a menacé d’une suspension du texte : «C’est une directive qui date de 1996. Le gouvernement français cherche aujourd’hui à convaincre – et beaucoup de pays sont d’accord avec lui – qu’il faut changer, qu’il doit y avoir une égalité de traitement, par le haut, pour lutter contre le dumping social, qu’on doit payer les cotisations sociales les plus élevées. Si on ne nous entend pas, il faudra dire que la France n’applique plus cette directive.»
Des propositions complexes à mettre en œuvre… et qui se trompent parfois de cible

Il est d’abord cocasse de voir que les propositions les plus virulentes à l’encontre de la directive manquent leur cible. Ainsi la suppression ou l’abrogation voulue par Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Nicolas Dupont-Aignan ou Arnaud Montebourg, afin d’obliger les détachés à cotiser en France, ne changerait rien au fait que les détachés continuent de cotiser au régime social d’origine. Car cet aspect dépend donc d’un autre texte. C’est le règlement sur la sécurité sociale de 2004 (qui fait aussi l’objet d’une révision actuellement) que la France devrait suspendre… et non la directive de 1996. «On est dans une réponse émotionnelle à des cas de fermetures de petites entreprises, en partie à cause du problème du détachement, estime Sébastien Richard, enseignant en politiques européennes à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne et grand spécialiste du sujet. Plus personne ne nie la réalité du phénomène, mais il existe des réponses, et celle-ci est une mauvaise réponse. Suspendre la directive ne changerait rien au fait que le détaché demeure lié à son régime de sécurité social… Mais cela impliquerait en revanche de revenir à la situation d’avant 1996, une jungle où il était possible de payer le salarié au salaire du pays d’envoi.»

L’hypothèse d’une suspension unilatérale de la directive, et à plus forte raison d’un règlement, impliquerait par ailleurs de lourdes conséquences politiques. A la différence d’une directive, qui doit être transposée dans le droit national, un règlement est d’applicabilité directe et automatique. L’article 288 du traité de fonctionnement de l’Union stipule : «Le règlement a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout Etat membre.» Autant dire que le choix serait facile : prendre la porte de l’Union ou obtenir un accord européen autour de l’abrogation du règlement. Hypothèse hautement douteuse, qui remettrait de fait en cause la mobilité des travailleurs détachés.

En pratique, enfin, le fait d’imposer pour les détachés européens le principe de la cotisation dans le pays d’accueil impliquerait la mise en place d’une véritable une usine à gaz. Tout travailleur étranger détaché en France, y compris pour une courte durée, devrait donc cotiser en France. Ce qui impliquerait une immatriculation au régime français, et la mise en place d’un système de portabilité des droits. Se poserait aussi la question du devenir des travailleurs détachés français qui, en toute logique, devraient également cotiser dans le pays d’accueil. Même les détracteurs du système actuel émettent des gros doutes sur une solution aussi radicale. Dans un rapport récent, Eric Bocquet, sénateur communiste, notait : «Le maintien de l’affiliation au régime de sécurité sociale du pays d’envoi se justifie, en dépit de ses effets sur la concurrence, par l’impossibilité d’affilier à titre temporaire et pour des périodes réduites les salariés détachés. La gestion administrative de tels dossiers apparaît complexe, avec en filigrane la question de la portabilité des droits.»

Dans l’équipe de Mélenchon, on assume la révolution : «Au moins les entreprises embaucheront des Français au lieu des détachés étrangers, affirme Liem Hoang Ngoc. On a 6 millions de chômeurs.»
Cédric Mathiot
http://www.liberation.fr/elections-presidentielle-legislatives-2017/2017/01/18/tout-le-monde-veut-la-peau-de-la-directive-travailleurs-detaches_1541827
Les répliques de la Tour Eiffel dans le monde | Un Jour de plus à Paris
Mon Jan 16 20:23:20 2017
http://www.unjourdeplusaparis.com/paris-insolite/repliques-tour-eiffel-dans-le-monde
Le revenu universel, une idée authentiquement libérale | Slate.fr
Thu Jan 12 21:45:54 2017

Le revenu universel, une idée authentiquement libérale

Gérard Horny

Economie 27.04.2016 - 17 h 18, mis à jour le 27.04.2016 à 17 h 18
Le revenu universel ne mettra pas fin à la pauvreté | Nick Ares via Flickr CC License by

Le revenu universel ne mettra pas fin à la pauvreté | Nick Ares via Flickr CC License by

Le revenu de base n’est pas la solution miracle à tous nos problèmes.

Qu’on l’appelle revenu universel, revenu de base, revenu d’existence, dividende universel, il est dans l’air du temps: on le prépare en Finlande, il va être l’enjeu d’une votation en Suisse, on en parle à Nuit Debout. C’est la grande idée du siècle, celle qui va mettre fin à la pauvreté et permettre à chacun de subsister quelle que soit son activité… ou son absence d’activité. Trop beau pour être vrai?

À Helsinki, le projet est sur les rails. Le gouvernement du centriste Juha Sipilä se prépare à expérimenter le revenu de base. Un premier rapport, esquissant les contours de cette expérimentation, a été remis à la ministre des Affaires sociales et de la Santé (parti des Vrais Finlandais) le 30 mars; un rapport définitif devrait suivre d’ici au 15 novembre. La mise en œuvre des recommandations aura lieu en 2017 et 2018 et le bilan sera tiré en 2019. L’objectif est de simplifier le système de prestations sociales, compliqué, lourd à gérer et coûteux. Mais il n’est pas question, semble-t-il, de changer la fiscalité ou de toucher aux prestations sociales du type assurance (chômage, retraite). Une des interrogations porte sur le niveau de ce revenu de base, qui doit permettre aux plus démunis de faire face aux dépenses indispensables tout en les incitant à travailler pour gagner plus.

En Suisse, le 5 juin, à la suite d’une initiative populaire ayant obtenu plus que les 100.000 signatures nécessaires, les citoyens vont se prononcer sur une réforme de la Constitution. Il s’agirait simplement de stipuler que «la Confédération veille à l’instauration d’un revenu de base inconditionnel», lequel revenu devrait «permettre à l’ensemble de la population de mener une existence digne et de participer à la vie publique»; le montant et le financement de ce revenu de base seraient fixés par la loi. Bref, rien n’est acquis, mais les promoteurs de cette initiative espèrent ainsi enclencher un processus.

Ces deux projets sont très représentatifs d’un mouvement qui s’est mis en place au cours des dernières années, à travers notamment le réseau BIEN (Basic Income Earth Network), issu d’un collectif Charles-Fourier formé par des chercheurs et syndicalistes proches de l’Université catholique de Louvain; en 1986, ce collectif a organisé un grand colloque d’où est sorti le Basic Income European Network, devenu en 2004 le Basic Income Earth Network. En France, l’économiste Yoland Bresson, qui a participé à la création du BIEN, a lancé en 1989 l’Aire, Association pour l’instauration d’un revenu d’existence, avec l’académicien Henri Guitton, illustre défenseur de la doctrine du catholicisme social. Le MFRB, Mouvement français pour un revenu de base, créé en 2013, travaille lui aussi en liaison avec le réseau BIEN.

Ce mouvement transcende les clivages habituels gauche-droite, ainsi que l’expliquent les animateurs du réseau, qui revendiquent aussi bien les expériences de Lula au Brésil que celle d’un gouverneur républicain en Alaska. De fait, l’Alaska Permanent Fund Dividend est probablement la forme la plus aboutie du revenu universel. Le fond a été créé en 1976 pour gérer les revenus que tire cet État de l’exploitation du pétrole. Afin que les électeurs acceptent que cet argent soit placé pour préparer l’avenir et non pas dépensé immédiatement, il est prévu qu’une partie des gains annuels doit être distribuée chaque année à tous les résidents, chacun touchant exactement la même somme quels que soient son âge et sa situation. Un premier dividende universel de 1.000 dollars canadiens a été versé en 1982; celui de 2015 s’est élevé à 2.072 dollars.

Faut-il décorréler revenus et travail?

Toutefois le cas de l’Alaska n’est pas un exemple parfait: il est trop lié à une situation exceptionnelle (la rente pétrolière) et ce dividende n’est pas le fruit d’une réflexion particulière sur la nécessité ou non de donner à chacun un revenu de base. Or l’histoire du revenu universel est intimement liée à celle des idées politiques. On la fait généralement remonter à Utopia, de Thomas More, en 1516, en passant par l’Anglo-Américain Thomas Paine, qui vécut les deux révolutions américaine et française, le français Charles Fourier, le mathématicien et philosophe anglais Bertrand Russell et deux économistes, le libéral américain Milton Friedman, Prix Nobel 1976, et le keynésien anglais James Meade, Prix Nobel 1977. Mais bien d’autres noms pourraient être associés à cette réflexion. En France, on peut citer le philosophe André Gorz, plus connu sous son nom de plume, Michel Bosquet, dans Le Nouvel Observateur. Plus récemment, en avril 2014, les penseurs libéraux de Génération libre, Marc de Basquiat et Gaspard Koenig, ont publié un rapport proposant le Liber, «un revenu de liberté pour tous», se présentant sous la forme d’un impôt négatif.
Impôt négatif

Le revenu universel peut en effet se concevoir sous la forme du versement d’une allocation à tous ou sous la forme d’un crédit d’impôt. Si ce crédit d’impôt est égal, par exemple, à 3.000 euros et si le calcul de votre impôt aboutit précisément à 3.000 euros, vous ne payez rien (et vous ne recevez rien). Si le calcul aboutit à un chiffre supérieur, vous payez la différence entre ce chiffre et 3.000 euros. Si le chiffre est compris entre zéro et 3.000 euros, vous recevez la différence entre 3.000 euros et ce chiffre, c’est l’impôt négatif, qui est en fait une prestation versée par l’État. Et si vous n’êtes pas imposable, quelle que soit votre situation, vous recevez 3.000 euros.

En pratique, le revenu universel et l’impôt négatif ne sont pas strictement équivalents. Le second peut être plus compliqué, car en théorie le revenu universel est individuel alors que l’impôt se calcule par foyer fiscal. Et souvent l’impôt négatif, tel qu’il a été théorisé par Milton Friedman, est associé à une «flat tax», c’est-à-dire à un impôt à taux unique, donc strictement proportionnel au revenu imposable, et non pas progressif, comme dans notre système. C’est pourquoi les penseurs libéraux sont très enclins à retenir l’option de l’impôt négatif.

Est-ce que cette idée pourrait se concrétiser très vite en France? On en a parlé à l’occasion de la remise du rapport Sirugue, remis le 18 avril au Premier ministre, sur une simplification des minima sociaux (RSA, Allocation de solidarité aux personnes âgées, Allocation pour adultes handicapés, etc.). En annexe 2 de son rapport, le député socialiste de Saône-et-Loire examine la théorie du revenu universel et les exemples de réalisations ou de projets en cours. Sa conclusion est nette:

    «Au-delà des considérations d’ordre technique liées à la complexité d’une telle réforme, les objectifs politiques qui sous-tendent aujourd’hui certaines expérimentations ne correspondent pas à la vision que j’ai de la lutte contre la pauvreté.»

Déjà, au début de l’année, la question du revenu universel avait été abordée dans le rapport «Travail emploi numérique – Les nouvelles trajectoires» remis par le Conseil national du numérique à la ministre du Travail Myriam El Khomri. Après un rapide exposé des thèses en faveur d’un tel revenu, ses conclusions étaient nettement moins négatives que celles de Christophe Sirugue, à la fin de la recommandation 20: «La pluralité de ces propositions amène le Conseil national du numérique à ne pas se prononcer pour l’une d’entre elles mais à proposer une méthode de réflexion et d’élaboration collective d’un éventuel dispositif équivalent à un revenu de base.» En clair: nous ne disons pas que nous sommes pour, mais nous conseillons fortement de regarder la chose de très près…
Péril

Dans le corps du rapport, le Conseil national du numérique pose cependant la question: faut-il décorréler revenus et travail? Parmi les risques que cela comporte, il note ce point: «Cette mesure risque de mettre en péril la fonction d’appariement du marché du travail, dans la mesure où les travaux les plus pénibles, utiles à la société, ne seront pas pourvus, alimentant ainsi des dysfonctionnements importants. De manière générale, ce sont les systèmes d’incitation au travail qui sont remis en cause.»

Déjà, le philosophe américain John Rawls, bien connu pour ses travaux sur la justice, avait émis des doutes sur le bien-fondé du revenu de base accordé de façon inconditionnelle: «Ceux qui surfent toute la journée sur les plages de Malibu doivent trouver un moyen de subvenir eux-mêmes à leurs besoins, et ne devraient pas bénéficier de fonds publics.» On s’attendrait de ce côté-ci de l’Atlantique à ce que ce genre de critiques émane surtout de la droite, mais, curieusement, du moins en apparence, celle-ci manifeste au moins autant d’intérêt que la gauche pour le revenu de base.

C’est un double renoncement à lutter contre les inégalités et à chercher le plein-emploi

À l’Assemblée nationale, le député LR Frédéric Lefebvre se montre très allant sur le sujet. Mais il a presque dix ans de retard sur Christine Boutin, que l’on imagine mal en reine de la Nuit Debout, où elle serait peut-être mal reçue, mais qui s’intéresse depuis longtemps au revenu de base. En octobre 2006, elle avait déposé une proposition de loi vite enterrée visant à instaurer un dividende universel, avec cet argument qui susciterait une large adhésion place de la République:

    «Les Français attendent un projet de société qui permette de leur redonner une dignité en dehors de toute valeur marchande et de renforcer la cohésion sociale. C’est pour cette raison que le Dividende universel est versé de façon inconditionnelle à toute personne, quels que soient son sexe, son âge ou son origine sociale.»

Néolibéral

Cet intérêt pour le revenu universel dans les cercles politiques remonte en fait au début des années 1970 lorsque des économistes français découvrirent les thèses de Milton Friedman. C’est ainsi que Lionel Stoléru écrivit Vaincre la pauvreté dans les pays riches (1974) et s’efforça de faire passer ses idées auprès de Valéry Giscard d’Estaing. Le plus étonnant est sans doute la façon dont le philosophe Michel Foucauld accueillit ces idées et s’en fit l’écho dans ses cours au Collège de France. L’auteur de Surveiller et punir et de Histoire de la folie à l’âge classique y a vu une critique séduisante de la machine étatique et, dans un cours donné le 7 mars 1979, sans s’effaroucher des conséquences sociales de l’impôt négatif, il en a exposé la logique avec une froide lucidité. Morceaux choisis:

    «Cette idée d’un impôt négatif vise explicitement à une action qui va atténuer quoi? Les effets de la pauvreté et ses effets seulement. C’est-à-dire que l’impôt négatif ne cherche aucunement à être une action qui aurait pour objectif de modifier telle ou telle cause de la pauvreté. Ce n’est jamais au niveau des déterminations de la pauvreté que l’impôt négatif jouerait, simplement au niveau de ses effets.»

     

    «À la limite, peu importe cette fameuse distinction que la gouvernementalité occidentale a cherché si longtemps à établir entre les bons pauvres et les mauvais pauvres, ceux qui ne travaillent pas volontairement et ceux qui sont sans travail pour des raisons involontaires. Après tout, on s’en moque et on doit se moquer de savoir pourquoi quelqu’un tombe au-dessous du niveau du jeu social: qu’il soit drogué, qu’il soit chômeur volontaire, on s’en moque éperdument. Le seul problème, c’est de savoir si, quelles qu’en soient les raisons, il se trouve ou non au-dessus ou au-dessous du seuil.»

     

    La politique impliquée par l’impôt négatif est le contraire même d’une politique socialiste

    Michel Foucault dans un cours donné le 7 mars 1979 au Collège de France

    «Cet impôt négatif est, vous le voyez, une manière d’éviter absolument tout ce qui pourrait avoir, dans la politique sociale, des effets de redistribution générale des revenus, c’est-à-dire en gros tout ce qu’on pourrait placer sous le signe de la politique socialiste. Si on appelle politique socialiste une politique de la pauvreté “relative”, c’est-à-dire une politique qui tend à modifier les écarts entre les différents revenus, si on entend par politique socialiste une politique dans laquelle on essaiera d’atténuer les effets de pauvreté relative due à un écart de revenus entre les plus riches et les plus pauvres, il est absolument évident que la politique impliquée par l’impôt négatif est le contraire même d’une politique socialiste.»

     

    Cet impôt négatif «assure en quelque sorte une sécurité générale, mais par le bas, c’est-à-dire que dans tout le reste de la société on va laisser jouer, précisément, les mécanismes économiques du jeu, les mécanismes de la concurrence, les mécanismes de l’entreprise. […] Ce tout autre mode, c’est celui de cette population assistée, assistée sur un mode en effet très libéral, beaucoup moins bureaucratique, beaucoup moins disciplinariste qu’un système qui serait centré sur le plein emploi et qui mettrait en œuvre des mécanismes comme ceux de la sécurité sociale. On laisse finalement aux gens la possibilité de travailler s’ils veulent ou s’ils ne veulent pas. On se donne surtout la possibilité de ne pas les faire travailler, si on n’a pas intérêt à les faire travailler. On leur garantit simplement la possibilité d’existence minimale à un certain seuil, et c’est ainsi que pourra fonctionner cette politique néolibérale.»

Misère

Ce langage a un mérite, c’est celui de la clarté. Et, parce que Michel Foucault ne cache pas son antipathie pour les systèmes «disciplinaristes», Marc de Basquiat et Gaspard Koenig ont placé leur projet Liber sous son auspice. Et, pourtant, on ne saurait imaginer réquisitoire plus terrible contre le revenu universel, double renoncement à lutter contre les inégalités et à chercher le plein-emploi. Tous ceux qui y voient la possibilité de mener une vie libérée du travail et d’exercer des activités non rémunérées, mais socialement ou culturellement utiles, ont sans doute raison. Mais ne doivent-ils pas craindre que ce soit aussi et peut-être surtout un moyen de régler le problème des gens pour lesquels il n’y a pas d’emplois?

L’économiste Pierre-Noël Giraud, dans l’introduction de son remarquable ouvrage L’Homme inutile, cite cette phrase aux accents prophétiques de Joan Robinson, keynésienne de gauche comme elle se définissait elle-même, écrite dès 1962: «La misère d’être exploité par les capitalistes n’est rien comparée à la misère de ne pas être exploité du tout.» Et c’est peut-être cette misère-là qui constitue la principale menace aujourd’hui.

Cela ne signifie pas que le revenu universel ne soit pas à étudier de près. Il peut effectivement servir de piste pour simplifier nos dispositifs d’aide sociale. Mais en aucun cas il ne peut être vu comme la solution miracle à tous nos problèmes. D’abord, en fonction de son niveau et de la façon dont il est financé, il peut prendre des formes très diverses et avoir un impact très différent sur le fonctionnement du système social. Enfin, quand des gens venant d’horizons politiques très différents prônent la même solution, on peut se demander s’il n’y pas quelque part parmi eux des gens qui s’égarent…

Gérard Horny
http://www.slate.fr/story/117269/revenu-universel-progressiste-liberal
Montebourg dévoile son « made in France » culturel
Thu Jan 12 21:18:05 2017
Montebourg dévoile son « made in France » culturel

Le candidat à la primaire de gauche propose d’augmenter de 2,5 milliards le budget de la rue de Valois et de crééer une agence nationale pour l’éducation artistique.

LE MONDE | 10.01.2017 à 10h14 • Mis à jour le 10.01.2017 à 11h08 | Par Clarisse Fabre
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Arnaud Montebourg le 9 janvier, à la Maison de la poésie, à Paris.
Au moins, c’est clair : Arnaud Montebourg est arrivé à la Maison de la poésie, à Paris, lundi 9 janvier vers 20 heures, avec Aurélie Filippetti, l’ancienne ministre de la culture et de la communication (2012-2014) de François Hollande, qui est aussi sa compagne. « Je fais mon miel de ses propositions ! », a lancé le candidat à la primaire à gauche – laquelle aura lieu les 22 et 29 janvier – en vue de l’élection présidentielle. L’ancien ministre de l’économie, du redressement productif et du numérique (2012-2014) a remercié « Aurélie » pour son action rue de Valois, citant sa défense de l’exception culturelle au sein de l’Europe, et son combat pour préserver le régime des intermittents du spectacle, en France.

Officiellement, Montebourg a confié son projet culturel à Frédéric Hocquard, conseiller (PS) de Paris et ancien secrétaire national du PS à la culture. Celui-ci avait convié quelques artistes et professionnels – « qui ne sont pas un comité de soutien », a-t-il pris soin de préciser – pour un échange avec le candidat : la productrice de films Marie Masmonteil, la chanteuse et compositrice Suzanne Combo, ou encore la metteuse en scène Barbara Bouley, laquelle a déploré que les socialistes – et les autres candidats – délaissent la culture durant cette campagne. « Au prochain débat télévisé, j’ai besoin d’entendre parler de la culture », a-t-elle déclaré, sous les applaudissements. « Tu sais ce qu’il te reste à faire », a lancé Frédéric Hocquard, alors que les sept candidats à la primaire de gauche débattront jeudi 12 janvier sur TF1.

Lire aussi :   Quand le FN squatte la culture

On sent Montebourg moins à l’aise pour parler de la scène contemporaine, dont il égratigne involontairement quelques patronymes fameux (« Joël Gommerat » (sic) au lieu de « Joël Pommerat »), que de la sixième République. Son projet culturel, pourtant, n’est pas inconsistant. Il prend acte des déceptions suscitées par les arbitrages de François Hollande, lequel a diminué le budget de la culture de 2012 à 2014, avant que Manuel Valls, devenu premier ministre en 2014, ne reconnaisse cette « erreur » et stabilise, puis augmente les crédits de la rue de Valois. Montebourg sait aussi que nombre d’artistes rejettent massivement la politique générale menée ces dernières années (déchéance de la nationalité, loi sur le travail, etc). Il y a du travail pour redonner confiance aux artistes : « Le drapeau de 2012 de la France est tombé dans la poussière. Ce drapeau du changement, il faut le relever. » Et rien ne se fera sans les artistes, a-t-il ajouté.
2,5 milliards de dépenses supplémentaires d’ici 2022

Trois propositions saillantes ont été dévoilées dans un document de six pages : la première concerne le budget de la culture. En période de crise, il faut déployer les moyens, a résumé Montebourg, établissant un parallèle avec le choix de l’ancien président américain Franklin Roosevelt, lequel avait lancé « un vaste plan de soutien à la culture » après son élection en 1933. Aux 3,5 milliards d’euros actuels du budget de la rue de Valois, Arnaud Montebourg compte ajouter 500 millions d’euros par an, soit un total de 2,5 milliards de dépenses supplémentaires durant le prochain quiquennat (2017-2022).

Alors que des collectivités locales se désengagent et diminuent leurs crédits à la culture, Arnaud Montebourg prévoit de « rendre obligatoire et partagée la compétence culturelle » des régions, départements, communes, etc. Et de « fixer des niveaux minimum de leur budget dans ce domaine ». Traduction de Frédéric Hocquard : « Les collectivités locales ont subi de la part de l’Etat une baisse de leur dotation globale de financement. Certaines d’entre elles ont saisi ce prétexte pour se désengager de la culture. Il faut inverser la vapeur, remettre de l’argent dans les collectivités et les amener à soutenir fortement l’art et la culture. »
Création d’une « agence nationale de l’éducation artistique »

Cet argent servira, entre autres, à lutter contre « les déserts culturels », et à « dépenser l’argent autrement » en vue de développer un véritable plan pour l’éducation artistique. Sensibiliser les enfants à l’art, tout au long de la scolarité, c’était le grand dessein d’Aurélie Filippetti, en 2012, mais ses ambitions se sont heurtées, dit-elle, à divers blocages émanant de l’Education nationale. Le projet d’Arnaud Montebourg prévoit la création d’une « agence nationale de l’éducation artistique et culturelle ».

Dotée d’un « budget conséquent », elle aurait une « autorité directe » sur les deux ministères, culture et éducation. « C’est le seul moyen de débloquer cette méfiance instinctive de l’éducation nationale à l’égard de la culture », a expliqué Aurélie Filippetti, avant d’annoncer une autre mesure, chaleureusement accueillie dans la salle : « Dans les écoles qui forment les enseignants, les ESPE, les professeurs seront désormais formés à l’éducation artistique. »
Négocation d’un « traité européen sur la culture »

Enfin, Arnaud Montebourg propose d’initier la négociation d’un « Traité européen sur la culture », lequel serait accompagné d’une augmentation forte du budget de la culture au sein de l’Europe – celui-ci ne représente actuellement que 0,15% du budget global. Il s’agit de faire face au dumping fiscal des grands acteurs d’Internet, les « GAFA », les Google, Apple, Facebook, Amazon, etc.

« Si, en 2013, à la suite d’un rapport, on s’est enorgeuilli que la culture représentait 3,2% du PIB, on a oublié de préciser que c’était 3,5% en 2005, et que depuis cette date ce pourcentage ne cesse de baisser. Principalement parce qu’une partie de la richesse que créent les artistes dans notre pays franchit l’Atlantique grâce aux tuyaux d’internet », lit-on dans le document. La France ne doit pas devenir « une colonie » des Etats-Unis d’Amérique, a proclamé Montebourg, qui entend défendre avec Filippetti « le made in France culturel ».
http://www.lemonde.fr/culture/article/2017/01/10/montebourg-devoile-son-made-in-france-culturel_5060194_3246.html
TEST. Quel «boubour» (bourgeois-bourrin) êtes-vous? | Slate.fr
Thu Jan 12 20:21:23 2017
Adieu bonne conscience, sophistication et quinoa: le bourgeois-bourrin est là. Un essai annonce la mort des contradictions «bobo» et le retour dans la mode, la culture, les valeurs et les modes de vie, d'un croisement entre la masculinité old school et l'éloge d'un libéralisme sans foi ni loi.

Pour aller directement au test, c'est ici

En décembre 2013, Nicolas Chemla publiait sur Mediapart une tribune intitulée «Après les années bobos: 2013, année Boubour?» L’auteur, consultant dans le domaine du luxe, s’amusait –et s’inquiétait– de ce qui couvait sous le lynchage des fameux «bobos» conceptualisés par l’Américain David Brooks dans son célèbre livre Bobos in Paradise publié au début des années 2000. Car entre temps «les Bobos sont devenus bel et bien la caricature qu’on en faisait, le terme est une insulte dans une majorité de milieux (mais quand même surtout chez les politicards poujadistes) qui les voient comme l’incarnation d’une élite mondialisée, ethno-, eco- et gay-friendly, déconnectée de “la réalité du peuple”».

À la suite de ce personnage qui a fini par envahir les pages des magazines, les centre-villes gentrifiés et jusqu'aux discours politiques, vient (ou revient) son antithèse, celui qui défend le retour aux sources, le machisme et rejette l’intellectualisme et la sophistication. Chemla le baptisera le «boubour», ou bourgeois-bourrin.

Nicolas Chemla affine et prolonge l’analyse socio-culturelle de ce personnage dans un essai, Anthropologie du Boubour –Bienvenue dans le monde bourgeois-bourrin, qui paraît chez Lemieux Editeur.


Évidemment, le boubour à l'état pur n’existe pas plus que son frère ennemi bobo. C’est une sorte de socio-type auquel l’auteur associe des traits culturels, des opinions, des goûts et des manières de vivre. Observateur attentif des modes médiatiques et de la pop culture, Chemla accumule au fil des pages les indices et signaux de ce retour en grâce de tout ce qui est lourd, viril, clinquant et sans complexe. Citons sans exhaustivité le succès du parfum bling bling One Million de Paco Rabane, le couple tout aussi bourrin composé de Kanye West et Kim Kardashian, les comédies américaines au-dessous de la ceinture post-Apatow, la techno rentre-dedans de David Guetta, le retour du rock à guitares seventies et des grosses cylindrées...

Pire, et c'est la nouveauté, le boubour séduirait même au sein des milieux intellos et branchés, à en croire l’intronisation par la critique ciné «estampillé(e) Sundance et Télérama» d’un style bourrin avec Spring Breakers d’Harmony Korine, «une invitation au paradis boubour», Dheepan de Jacques Audiard, drame social «qui vire en remake de Rambo 3», ou encore les pubs et clips réalisés par Romain Gavras. Côté série, la mode est au «retour du masculin prédateur et déchaîné», comme dans Breaking Bad et Sons of Anarchy.
Du bobo au bonobo: le retour du darwinisme social

Si on imagine volontiers le «boubour» en bourgeois hétérosexuel d'âge mûr, la bourrinitude n'est l'apanage ni d'un sexe –il y a des «boubour femelles», de Rihanna à Amy Schumer–, ni d'un milieu social –Booba, établi dans la capitale boubour mondiale qu'est Miami, serait ainsi la quintessence du boubour de banlieue– ni d'une orientation sexuelle –il y a un retour à une esthétique viriliste dans une partie du milieu gay.

Au-delà de cette analyse critique des produits des industries culturelles, l’auteur remarque à juste titre ce que le triomphe médiatique de la psychologie évolutionniste, de la sociobiologie et des neuro-sciences, en tout cas de leur vulgarisation, dit de l’esprit «bourrin» du temps: ces sciences postulent –et tentent de démontrer– une «réduction de toute forme d’idéal à de simples mécanismes génétiques hérités de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs», légitimant et naturalisant ainsi les lois de la nature, «la violence des marchés et l’individualisme triomphant de l’ultra-libéralisme» tout en renforçant les stéréotypes populaires. En clair, «les bobos sont un accident de l'histoire, le bonobo est la vraie nature de l'homme, vive les boubours!».

Le boubour a fait des seventies son âge d’or –on peut voir dans l’adulation ironique de Chirac jeune, la marque Le Slip français ou les films de Jean Dujardin des indices de ce rétro-masculinisme désormais à la mode. Après tout cette décennie était celle «de l’éclate du mâle blanc à tous les étages, sans reproche et sans remords, avant que ne tombent les multiples couperets de la “bien-pensance” normative.» Description qui n’est pas sans rappeler les thèmes privilégiés des succès d’édition «boubours» des dernières années, à commencer par ceux d’Éric Zemmour, sur fond de retour à l’ordre familial et moral d’avant la révolution des mœurs. En cela, la légèreté apparente du livre se double d'une lecture politique par un authentique bobo (assumant aussi ses contradictions «bourrines») qui tente de sauver ce qui peut l'être d'une entrée dans le XXIe siècle qui n'a juré que par l'écologie, la nourriture bio, la bonne gouvernance et le libéralisme culturel.

Tremblez, lecteurs (ou réjouissez-vous) car le boubour, «qu’il ne s’agit plus d’emmerder avec les Bisounours –ou le quinoa», triomphe partout. De quoi nous faire regretter Louis Garrel et Michel et Augustin? Tout le monde n'ira pas jusqu'à ces extrémités. En attendant, nous reproduisons le test proposé par l’auteur en fin de livre, «Quel boubour êtes-vous?», qui vous aidera à vous positionner sur l’échelle de la révolution bourrine qui vient.
http://www.slate.fr/story/115245/test-quel-bourgeois-bourrin-etes-vous
(1) Les boubours, bobos à rebours - Culture / Next
Thu Jan 12 20:20:30 2017
 Les boubours, bobos à rebours
Par Guillaume Gendron — 8 décembre 2016 à 17:36
Illustration Julien Langendorff pour Libération
Les «bourgeois bourrins», frères ennemis des «bourgeois bohème», pourraient refléter la droitisation ambiante, de l’élection de Donald Trump au plébiscite de François Fillon.

Trébuchant dans la cendre de l’apocalypse trumpiste, encore sonnés par le phénix catho-libéral filloniste, les «producteurs d’intelligence» (comme disent les producteurs télé) rivalisent d’hypothèses pour expliquer la droitisation effrénée du monde. On sent bien, derrière les indéniables ressorts économiques, sociaux, voire xénophobes qui sous-tendent ces claques politiques, que se joue aussi dans nos démocraties fatiguées une sorte de contre-révolution culturelle. Contre-révolution disséquée dans un essai publié en mars (1) - soit avant les séismes précités - par un chasseur de tendances, qui y décrit l’émergence du «boubour». Et si, sous ses apparences de concept gag, le responsable, c’était lui ? Le «bourgeois bourrin» théorisé par l’essayiste Nicolas Chemla. Le yang du bobo, ce «bourgeois bohème» devenu bouc émissaire universel.

Pour faire simple, il s’agit d’un CSP + branché, généralement mâle, qui se détourne des «trois piliers de l’utopie bobo : justice sociale, mixité et protection de l’environnement». Utopie à l’agonie, insiste Chemla, qui, en une dizaine d’années, «s’est transformée en dystopie hipster», entre gentrification, rétromanie obsessive et progressisme mou, voire hypocrite. Jouissant d’un capital culturel équivalent à celui du bobo, le boubour n’est pas un simple réac ou un beauf. Il s’est construit en réaction à ce qu’il considère comme un déploiement excessif du politiquement correct, des luttes antiracistes et féministes, de l’écologie… Fatigué de s’excuser de ses privilèges, «le boubour n’est pas tant antibobo que postbobo», écrit l’auteur. Le boubour, c’est le lâchage, «dans une vie toujours sous contrôle. Marre de toujours faire attention à ce qu’on mange, à ce qu’on dit, à ce qu’on boit», voilà l’idée. Fuck le quinoa, le vélo et les indignés permanents sur Twitter. Vive la viande, les bagnoles et les blagues borderline. Glorification du bourrin comme autodéfense, à rebours du bien-faire et du bien-penser : «C’est plus un programme, un ensemble de valeurs, qu’un personnage. Sous des apparences parfois contradictoires, c’est le trait d’union entre Booba et Laurent Wauquiez.» Vaste programme.
Prophétie électorale

Et Nicolas Chemla de conclure, après avoir mentionné Donald Trump comme modèle de boubour absolu à l’heure de l’effondrement des valeurs bobos : «Il peut apparaître comme un libérateur, c’est bien là son danger. Quand l’intelligence nous pousse à considérer l’impact potentiellement négatif de chacune de nos paroles et nos actes, la tentation est grande de rejeter en bloc toute forme de nuance et de se replier sur un entre-soi aveugle et puéril. L’avenir nous dira si on parvient à le garder sous contrôle.» Il faut saluer la vista de l’ancien pubard à la formation d’anthropologue - il fut l’un des instigateurs du néologisme «métrosexuel» (2) -  qui, en cherchant à décrire une tendance comportementale, s’est retrouvé à dessiner une prophétie électorale. L’auteur, qui vit en Californie, se dit sidéré par les derniers développements. Chez les trumpsters de la petite bourgeoisie blanche, il a retrouvé les traits des boubours. «Ce sont des gens qui n’ont pas d’idéologie raciste constituée mais se disent las de marcher sur des œufs tout le temps, explique-t-il au téléphone. Ils ne comprennent plus rien au discours postmoderne - des séries HBO sur les jeunes de Brooklyn aux débats sur le privilège blanc.» Pour eux, Trump aurait un côté «sexy» de par l’apparente liberté de son verbe et de son mode de vie : «Il n’est pas frustré, il est dans l’hédonisme permanent. Et même si ses propos sont rétrogrades, il est en ce sens du côté d’une certaine modernité.» Soit «le triomphe repu et satisfait d’une idéologie de la jouissance et du succès individuels. Une célébration de la puissance sans pare-chocs».

Comme un retour à la fièvre ultralibérale des années 80, où l’Amérique de Reagan (l’argent de Wall Street, les muscles de Schwarzenegger) dominait culturellement. Ce qui est nouveau, selon l’auteur, c’est la posture rebelle et pseudo-antisystème des boubours, qui «parviennent à faire passer pour contestataire ce qui n’est que le rétablissement d’un ordre immobile». Car tout ce que veut le boubour, c’est jouir, comme avant, tranquille, «sans complexe, sans complexité, et sans culpabilité». Laisser libre court à ses instincts, faire parler sa nature sauvage fantasmée, désignée ironiquement comme son côté «bonobo».
Tradi sans chichis

Le phénomène n’a rien de spécifiquement américain, comme l’a prouvé dans l’Hexagone la récente primaire de la droite et du centre, démontrant que le clivage bobo-boubour n’est pas qu’une question de gauche-droite mais de rapport au monde. «Pendant la campagne, Juppé, décrit partout comme bobo-compatible, a dénoncé la "brutalité" du programme de Fillon - en d’autres termes, la bourrinisation de la droite bourgeoise», analyse Nicolas Chemla. Adepte des vestes matelassées anglaises, François Fillon incarne le boubour en Barbour à la perfection : classé parmi les hommes politiques les plus stylés selon GQ, coureur automobile du dimanche (ah, les cylindrés vintage !) et amateur de cuisine tradi sans chichis (les fameuses pâtes à la saucisse racontées dans l’émission de Karine Le Marchand Une ambition intime). De même, l’auteur fait le parallèle entre l’effondrement des rêves bobos et la «débandade Hollande». Manuel Valls serait-il l’esquisse d’un socialisme boubour à venir ?

On peut aussi regarder la trajectoire du comique Gaspard Proust, anar de droite un temps consensuel et dont le dernier spectacle est le summum du boubourisme : entrée sur scène au son de guitares saturées, mépris absolu des bobos (70 % des blagues), du multiculturalisme (sa vanne récurrente est : «L’autre, quelle richesse»), des femmes, des luttes sociales. Le tout emballé avec quelques références littéraires vermeil pour faire passer la pilule zemmourienne et l’éloge des éjaculations faciales, face à un public dont il vante le caractère «multiculturel caucasien».

Rien n’échappe à la boubourisation, «une esthétique et une éthique qui tendent vers le sauvage, le gras, le lourd, le brut», mais version «chic et branché». Comme l’ensauvagement de la mode masculine et du luxe avec l’increvable triptyque viriliste bûcheron-motard-rockeur, symbolisé par les dernières campagnes de pub de Dior (Sauvage, avec Johnny Depp) et Metallica égérie de la marque Brioni, ou encore l’acceptation des arts martiaux mixtes (MMA), sport de combat aussi sanglant que populaire et désormais intégré à l’industrie hollywoodienne.

Au cinéma, c’est l’esthétique léchée de Nicolas Winding Refn (Drive) et d’Alejandro Iñárritu (The Revenant), promoteurs d’un survivalisme nihiliste chic. C’est le cinéma faussement complexe de Christopher Nolan, dont le dernier volet de la trilogie Batman (2012) met en scène une chauve-souris millionnaire alliée à la police pour mater une insurrection calquée sur le mouvement Occupy. C’est l’avènement du couple Kardashian-West, bling, sans filtre, et désormais pro-Trump (pour le rappeur). C’est Booba et son rap misogyne et libéral-darwiniste, cité par les poètes et romanciers en vogue. C’est le retour du magazine Lui, avec à la barre Frédéric Beigbeder, chantre du boubour vintage. C’est le culte autour du Loup de Wall Street de Scorsese, adulé au premier degré par le peuple boubour. C’est aussi la reprise en main musclée de Canal + par Vincent Bolloré et sa violence sociale assumée.

Dans nos assiettes, c’est le retour de la cuisine bourgeoise (plats en sauce, gibier), le carnisme défiant des restaurants à la texane et l’appétence pour les os à moelle bistronomiques qui font la nique à la «menace» bobo-bio-végétarienne. Dans les salles de sport, c’est l’avènement du crossfit, la muscu hors de prix, à la dure et à la trique. Au lit, c’est la culture Tinder et Grindr, la consommation des corps sans pitié ni manières. Nicolas Chemla voit dans la culture numérique moderne, de Uber à Instagram, le même tropisme du choc, de la frime et de la domination…
«Génération chochotte»

Le boubour n’est pas générationnel, mais son paradis perdu remonte aux années 70, ère de «libéralisme et d’hédonisme déchaîné, sans que les empêcheurs de tourner en rond - féministes, gays, minorités - ne fassent obstacle à l’éclate du bourgeois mâle hétéro». Il s’oppose à la caricature répandue des millenials, cette jeunesse soi-disant hypersensible et nombriliste que Bret Easton Ellis, haute figure de la branchitude littéraire, baptise en 2015 «génération chochotte». Terme repris par l’icône boubour Clint Eastwood pour justifier l’émergence de Trump dans une interview estivale : «Il tient quelque chose, car, en secret, tout le monde commence à en avoir marre du politiquement correct, de faire de la lèche.» Poussé dans ses pires extrêmes, le boubour ressemble furieusement aux militants américains de l’alt-right, qui, sous ses postures «anti-politiquement correct» n’est qu’un mouvement de mâles blancs unis par la détestation du multiculturalisme et du féminisme. «Tout content de pouvoir réinventer les codes du cool et d’assumer son rejet de l’attitude bobo, le boubour s’impose : retour aux sources, ethnocentrisme, machisme, voire chauvinisme assumé, rejet de ce qui est trop sophistiqué», écrit Chemla. Triomphe de l’idéologie du «on veut bien être gentil, mais faut pas déconner non plus».

Le pire, selon l’auteur, c’est qu’on a pour la plupart du boubour en nous - femmes y compris. «Cette attitude rassure et s’inscrit dans le processus actuel d’enfermement de chacun dans des identités figées», remarque-t-il. Entre le ridicule du bobo qui tente de bien faire et la domination cool, on peut comprendre la tentation. Pour l’essayiste, le boubour recherche avant tout «des sensations à la fois fortes et simples, une sorte de défonce tranquille, une béatitude vide et nirvanesque». Gare à la redescente.

(1) Anthropologie du boubour. Bienvenue dans le monde bourgeois-bourrin, Lemieux Editeur, 152 pp., 14 €.

(2) Précision : Nicolas Chemla n'est pas l'inventeur du terme, mais l'un des «tendanceurs» chargés de le «lancer» dans le langage courant par l'agence Havas en 2002, comme il l'explique dans son livre. Le père du néologisme est l'écrivain Mark Simpson.
Guillaume Gendron
http://next.liberation.fr/vous/2016/12/08/les-boubours-bobos-a-rebours_1533938
The Velvet Underground "Berlin" (Bataclan 1972 - Paris) | Archive INA - YouTube
Tue Dec 20 18:20:15 2016
YouTube thumbnail
https://www.youtube.com/watch?v=X_83BliFcFg
Parasiter un interphone | Hackers Republic
Mon Dec 19 23:10:39 2016
https://www.hackersrepublic.org/hacking-mobile/parasiter-un-interphone
Radio Garden
Tue Dec 13 18:52:15 2016
c'est beau
http://radio.garden/
Talinn fait le bilan de 4 ans de transports gratuits 1/2 - URBIS le mag
Mon Dec 12 21:41:22 2016
A suivre ...
http://www.urbislemag.fr/index.php?page=blog_lire&id=372
Calendrier perpétuel
Mon Dec 12 07:55:23 2016
http://trk.free.fr/calendrier/index.html
Les bonnes recettes du « Canard enchaîné »
Sun Dec 11 20:24:00 2016
http://abonnes.lemonde.fr/m-actu/article/2016/12/09/les-bonnes-recettes-du-canard-enchaine_5046401_4497186.html
Peur sur les internets - Rue89 - L'Obs
Sun Dec 11 20:05:03 2016
Peur sur les internets

Quand on parle d’internet, la peur, l’incertitude et le doute dominent. Sans parler du « Grand remplacement » des lolcats.
Par Olivier Ertzscheid Enseignant chercheur, Université de Nantes. Publié le 10/12/2016 à 16h17
13 358 visites 96 réactions   1
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[Précaution oratoire : j’aime les internets. Je leur dis cœur avec les doigts.]

Au commencement des internets (ou presque), il y eut la déclaration d’indépendance du cyberespace. Et le 7ème jour le dieu des internets créa les lolcats. Tout cela prospéra et tout cela fut juste et bon. Puis vinrent les plateformes, puis les jardins fermés. Puis les débats sur la bulle de filtre.
Making of
Cette réflexion a d'abord été publiée sur l'excellent blog Affordance.info, tenu par Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l'information et de la communication à l'université de Nantes. Il nous a aimablement autorisé à le reproduire sur Rue89. Mathieu Deslandes

Mettons, si vous le voulez bien, ledit débat sur la bulle de filtre de côté. J’ai comme plein d’autres déjà beaucoup (trop) écrit sur ce (passionnant) sujet. Je propose donc de le conclure définitivement de la manière suivante :

Qu’il y ait ou qu’il n’y ait pas de bulle de filtre importe peu, la seule vraie question est celle d’un déterminisme algorithmique (et de comment on l’évite et comment on le contrôle).

La réalité des internets telle que nous la vivons dans l’ombre ou la lumière des grandes plateformes sociales (Facebook, Twitter, etc.) me semble aujourd’hui dangereusement se résumer à trois choses.
1
La peur

 

Oui la peur. Peur propagée par les #haters de tout poil qui n’ont de cesse de nous annoncer la prochaine apocalypse politique, climatique, sociétale. Mais peur propagée également par les leaders (d’opinion) devant une réalité politique, sociale, économique, environnementale par bien des aspects effectivement effrayante ou à tout le moins menaçante.
2
L’incertitude

 

L’incertitude ensuite. Car tout est incertain. Toutes les certitudes vacillent. Les gens de gauche vont voter aux primaires de la droite, les favoris des sondages se trouvent éliminés et les scénarios les plus improbables (aux yeux de certains) font désormais notre quotidien, et pas uniquement sur le plan politique.
3
Le doute

 

Alors bien sûr on n’est plus sûrs de rien. On se prend à douter. Mais pas le doute cartésien, éclairé, non, non, non, un autre doute : le doute de la suspicion, de la remise en cause permanente des évidences parfois les plus triviales mais systématiquement bousculées par la peur et par l’incertitude.

L’illustration de ce doute s’est récemment traduite par ce nouveau concept de « post-vérité » (post-truth), aussi séduisant qu’alibi commode pour s’empêcher de penser la société du grand spectacle journalistico-médiatique.

Gageons que ce dessin du New-Yorker s’inscrira dans la longue liste de la culture web, au même titre qu’hier le « On the internet, nobody knows you’re a dog ». Car il résume à merveille la forme la plus aboutie de la « la tyrannie des agissants » qui fait aujourd’hui de ce régime de peur, d’incertitude et de doute, le nouveau modèle de ce qui est d’abord et avant tout une société en grande souffrance.
On rit FORT

Sur les internets tout est FORT. On parle FORT, on écrit FORT, on rit FORT. LOL. Laughing Out LOUD. Et une nouvelle alchimie s’installe. Aussi mystérieuse que celle supposée transformer le plomb en or, la nouvelle alchimie des internets achève le virage de l’infotainment amorçé en dehors des internets, elle transforme le LOL en News. Le meilleur exemple ? Sous nos yeux. Buzzfeed, site emblématique de la culture LOL qui se met depuis quelques temps à sortir de vrais scoops, à faire de la « vraie » info. De l’info(tainment) au LOL et retour.

Car voilà déjà presque 10 ans que tout cela s’est mis en place. Que tout cela dure et s’amplifie à mesure que durent et s’amplifient les conflits sociaux, politiques, climatiques. Aujourd’hui bien sûr cette angoisse, cette incertitude, ces doutes sont focalisés sur l’agenda politique, de Trump à Fillon. Mais souvenez-vous, hier c’étaient les attentats, avant-hier les migrants, encore avant la sûreté nucléaire, et ainsi de suite.
Toutes les colères

Naturellement le lien avec l’actualité est toujours prégnant mais les commentateurs compulsifs que nous sommes devenus (et parmi lesquels j’assume ma part) n’ont souvent que cette bouée de colère à laquelle se raccrocher, bouée d’autant plus jouissive et nécessaire qu’elle permet d’oublier notre impuissance en nous donnant bonne conscience à moindre coût.

La colère et l’indignation sont les sentiments les plus faciles à partager. Rien de nouveau sur les réseaux de la colère. Les internets nous ramènent à l’âge de l’enfance et de l’adolescence : l’âge où toutes les colères sont possibles, où elles sont « sans filtre », l’âge aussi où le plus petit sentiment d’injustice prend des proportions apocalyptiques pour le représentant de l’autorité qui s’en rend coupable.

Et le cercle vicieux peut tourner : peur, incertitude et doute nourrissent colère et indignation qui à leur tour entretiennent peur, incertitude et doute qui à leur tour ... ad lib.
Des internets botoxés

La nature (et les internets) ayant horreur du vide, en symétrique exact de ces expressions angoissantes se sont bâties d’autres plateformes où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Après FlickR hier, Instagram en est probablement aujourd’hui le parangon. Des internets esthétisés, botoxés à la joie de vivre, revampés aux pastels de l’inessentiel.

Les internets ne sont ni une cause ni une conséquence. Ils sont le reflet, la membrane poreuse d’un monde, de notre monde de sociabilités, d’informations, de connaissances. Mais cette membrane dispose de ses propres règles (dis)cursives, de ses propres régimes de vérité.

S’étonner aujourd’hui de ces « post-vérités » et de la place qu’elles occupent c’est oublier un peu vite qu’il y a maintenant des décennies que la classe politique dans son ensemble, relayée par la plupart des médias d’opinion, s’emploie à fracasser systématiquement la notion même de vérité.
Quelle est la vérité ?

Juste un exemple : quelle est la « vérité » des chiffres du chômage alors qu’à chaque campagne, qu’à chaque élection, avec la même apparente bonne foi, un type de gauche est capable de vous démontrer que ça baisse et un type de droite que ça monte (ou inversement) ?

Un autre exemple ? Quelle est la vérité d’un vote référendaire concernant un traité européen ?

A force d’asséner de grands coups de cynisme et d’enfumage communicationnel sur les anciens régimes de vérité, comment voulez-vous éviter que d’autres régimes de vérité n’émergent et ne se substituent aux premiers ?

Ceux qui se désolent aujourd’hui de cette ère de la « post-vérité », ceux qui tentent de la réduire à un populisme ou à un poujadisme, ceux-là oublient un peu vite que ce qui fit le terreau de ces populismes et de ces poujadismes fut précisément le systématisme avec lequel les mêmes décrédibilisèrent les uns après les autres les régimes de vérité qui permettaient à une démocratie de fonctionner.
Peur. Incertitude. Doute

Peur. Incertitude. Doute. En anglais, « Fear, Uncertainty, Doubt ». Un acronyme : FUD. Qui est aussi une méthode. De déstabilisation. Très connue des anciens rhétoriciens de la Grèce antique, récemment reprise par les spin-doctors du marketing et autres padawans de l’intelligence économique. Fear, Uncertainty, Doubt. FUD.

A qui profite le crime ? Que les internets soient traversés par d’immenses mouvements de peur, d’incertitude et de doute est une chose. Mais qui peut avoir intérêt à ce que l’ensemble des médias et de la classe politique n’envisagent plus les internets que comme des pourvoyeurs de peur, d’incertitude et de doute ? Donald Trump est-il en train de transformer Twitter en une machine à désinformer au service de l’état  ?

La spirale du FUD a ceci de remarquablement énervant qu’elle fonctionne de manière auto-référentielle, c’est à dire qu’elle ne peut être contrée que par d’autres arguments jouant eux aussi sur la peur, l’incertitude et le doute, et qui viennent donc renforcer et légitimer les peurs les incertitudes et les doutes initiaux. Elle est donc en quelque sorte indémontable dialectiquement.
Fini le fun

Bref tous les gars sérieux vous le diront : « L’ère Internet des jeux et du fun, c’est terminé ! » Et Bruce Schneier est un gars sérieux. Bon là bien sûr il ne parle pas des Fake News ni des Haters mais des récentes gigantesques cyber-attaques qui ont frappé des états et des sites emblématiques, et qui vont selon lui se multiplier à une échelle et avec un impact inédits à cause de l’internet des objets, à propos duquel il utilise une image qui me semble très parlante :

    « Il y a maintenant des ordinateurs dans chaque chose. Mais je vous suggère surtout de réfléchir au fait que chaque chose est aujourd’hui un ordinateur : ceci n’est pas un téléphone c’est un ordinateur qui permet de passer des appels téléphoniques. Un réfrigérateur est un ordinateur qui permet de garder de la nourriture au frais. [...] Votre voiture n’est pas un dispositif mécanique équipé d’un ordinateur, c’est un ordinateur avec 4 roues et un moteur... C’est cela l’internet des objets, et c’est ce qui cause les attaques par déni de service dont nous parlons actuellement. »

Choses dangereuses

Plus loin, Bruce Schneier enchaîne en reprenant l’idée fondatrice du « Code Is Law » de Lessig et en remet une couche  :

    « Nous sommes arrivés à un point où nous avons besoin de prendre des décision éthiques et politiques sur la manière dont ces choses fonctionnent. Quand cela n’était pas très important – quand on parlait de Facebook, de Twitter, de l’e-mail – nous étions OK pour laisser cela aux programmeurs, pour leur donner des droits spéciaux leur permettant de coder le monde tel qu’ils le voyaient. Mais maintenant qu’il s’agit d’un monde de choses dangereuses – des voitures, des avions, des dispositifs médicaux et plein d’autres choses – peut-être ne devrions-nous plus faire cela. »

Revenons si vous le voulez bien un instant sur la question des plateformes et de la bulle de filtre du déterminisme algorithmique.

Comme rappelé plus haut, ce sont les sentiments de colère et d’indignation qui se propagent le mieux sur les réseaux sociaux. Ce sont eux qui bénéficient de la « viralité » la plus importante et la plus « naturelle ».
2015 : le désenchantement

La colère et l’indignation, à force de tourner dans le vide, finissent immanquablement par provoquer un sentiment de frustration et de défiance. Sur ce sentiment de défiance se construisent des discours dont le coeur est de jouer sur la peur, l’incertitude et le doute. Et nous y revoilà : « Filter Bubble », « Post-Truth », il ne s’agit que de symptômes. Le mal est ailleurs : dans une forme de délégitimation de la parole et de l’action publique, dans les coups répétés contre les régimes de vérité qui étaient supposés constituer la trame de l’écheveau médiatique et de l’action politique et qui, ensemble, nous permettaient de faire société sans avoir à se replier vers des obscurantismes que l’on pensait définitivement révolus.

A l’échelle de la courte histoire des internets, l’année 2015 fut celle du désenchantement. Sitôt soufflées les bougies des 25 ans du web on vit se multiplier les textes, éditos, chroniques autour du désenchantement, du très bon roman  « La théorie de la tartine » de Titiou Lecoq au texte publié par un blogueur iranien retrouvant internet après 6 années passées en prison.
Angelina Jolie et Donald Trump

L’année 2016 est celle d’une nouvelle crise, de confiance cette fois : on ne peut plus croire ce qui se dit sur les internets (post-truth), ou plus exactement les internets auraient permis que l’on croit davantage ce qui n’est pas crédible parce qu’uniquement du registre de l’émotionnel. Là encore les médias ont eu le raccourci un peu facile et le bouc-émissaire non-moins leste : liker, partager ou retweeter une fausse info balancée par Donald Trump durant la campagne ne veut pas dire que l’on y croit ou même que l’on y adhère mais simplement que l’on fait le choix de lui donner de la visibilité pour dénoncer l’absence totale de solution (pourtant connues) aux vraies infos et aux vrais problèmes que certains des électeurs de Trump (ou de Marine Le Pen) rencontrent dans la vraie vie, pour souligner les peurs, les incertitudes et les doutes qui sont leur quotidien :

    « Sure, Trump may have lied pathologically, but he showed such disregard for the significance of his own duplicity that the very tenure of the lie seemed to point to a higher truth. » (Source)

Le « partage » et la « viralité » tels qu’orchestrés par Faceook ne sont pas des marqueurs d’adhésion, car la règle qui veut que les gens partagent des infos sans les lire (et donc sans s’être posé la question de leur véracité) est connue et au fondement même de la logique de viralité. Elle s’applique de la même manière à un article sur le divorce d’Angelina Jolie et de Brad Pitt qu’à chacune des saillies et des mensonges de Donald Trump.
« Je vous emmerde »

Une nouvelle fois, il ne s’agit pas de savoir qui a dit la vérité, il ne s’agit pas de savoir ce qui est un mensonge, il s’agit de marquer des points. Partager le tweet de Donald Trump considérant que le réchauffement climatique est un complot des Chinois, ce n’est pas dire que l’on croit que le réchauffement climatique est un complot des Chinois, c’est dire « je vous emmerde, vous, les politiciens qui ne nous parlez que du réchauffement climatique quand moi je suis dans une merde noire parce que mon usine a fermé et que je n’arrive plus à nourrir ma famille », c’est dire aussi « je vous emmerde tellement que je suis prêt à soutenir et à voter pour le premier pingouin qui dira des trucs qui vous emmerdent ».

C’est bien d’un jeu dont il s’agit. Seuls les politiques et les médias mainstream condamnant la « responsabilité » de Facebook dans la propagation de fake-news et l’élection de Trump l’ont oublié.

Partager l’info selon laquelle le réchauffement climatique est une invention des Chinois est un jeu. Nous jouons à nous rassurer. Parce que nous avons peur. Parce que nombre de nos certitudes se sont effondrées. Parce que nous doutons. Le rôle du déterminisme algorithmique – et le problème qu’il pose – est de nous confirmer que cette peur, que ces incertitudes, que ces doutes sont et seront entendus, qu’ils sont et seront « partagés ».
Les lolcats grand-remplacés

Alors oui, même si les lolcats sont toujours là et contribuent à leur manière à l’euphémisation d’un réel vécu principalement au travers d’une illusion de la majorité la tendance est à leur grand remplacement par les Scared cats.
Un chat effrayé et effrayant
Un chat effrayé et effrayant - Dottie Day / Flickr

Les internets en pleine crise de confiance sont ballotés entre Trollarchie et algocratie. Selon que l’on se place du point de vue de la classe politique, des médias « non-internet », des journalistes, des citoyens, le rôle, l’impact et l’enjeu que recouvrent ces deux notions varient considérablement mais elles sont actées comme autant de constantes dans les nouveaux régimes de vérité qui fondent les espaces discursifs que nous offrent les réseaux sociaux.
Le 5 septembre 2006

Si l’on devait chercher à dater précisément le début de ce grand retournement, on pourrait retenir la date du 5 septembre 2006. C’est ce jour là que Facebook lance le « news feed » et invente officiellement l’internet moderne.

Le News Feed est au fondement d’une nouvelle forme d’algocratie, savant mélange de pondération algorithmique déterministe, de choix personnels oscillant entre l’aléatoire et le socialement contraint et construit (les amis que l’on se « choisit ») et d’espaces discursifs (les status) plus ou moins investis.

Et voilà l’agora de ces internets modernes dans lesquels on retient surtout la peur, l’incertitude et l’incompréhension. Une agora dans laquelle la parole circule d’abord par le biais (au double sens du terme) de notifications qui sont la nouvelle grammaire attentionnelle et cognitive de cette expression sociale.
Que sera 2017 ?

Après presque 15 ans de LOLcat et d’anonymat (de 1990 à 2005 en gros), après le grand désenchantement d’un internet de plus en plus fermé et compartimenté (2015), après la grande angoisse et la grande crise de confiance d’un internet en plein doute dont on mesure la puissance sur l’opinion en tant que média et pour lequel on parle désormais d’éthique et de responsabilité devant la peur suscitée par sa prochaine mutation – celle des objets – (2016), que sera l’année 2017 ?

Difficile de le dire pour l’instant mais deux options sont envisageables.

    Dans une hypothèse pessimiste, nous sommes à peine à l’amorce d’un mouvement pendulaire qui va achever de faire voler en éclat toutes les anciennes éditocraties (politiques, médiatiques, culturelles, sociales) et leurs régimes de vérité et leur substituer des régimes algocratiques qui seront les nouveaux faiseurs de rois. Trump est élu. Le Pen le sera (ou Fillon ce qui revient presque au même). A l’issue de leurs premières présidences tout le monde se réveillera (peut-être) et il sera (sûrement) trop tard.

    Dans l’hypothèse optimiste, ce mouvement pendulaire est au bout d’un cycle et le mouvement de balancier va ramener le « système » à son point d’équilibre presque initial.

Je suis optimiste, malgré tout

Et puisque vous ne me demandez pas mon avis je vais quand même vous le donner.

La modeste observation que je mène depuis plus de 10 ans sur différentes questions liées à l’écosystème internet me pousse à favoriser... l’optimisme (la seconde hypothèse).

Pourquoi ? Parce qu’à chaque fois, dans l’histoire des internets, qu’une technologie ou qu’un nouvel écosystème est venu bousculer des habitudes sociales, des marchés économiques, cela a toujours plus ou moins rapidement commencé par une période de disruption et d’éclatement des règles avant de toujours plus ou moins rapidement revenir à des options de régulation et de filtrage finalement assez peu éloignées de celles qui préexistaient aux habitudes ou aux marchés initialement « disruptés ».

Les rentes qui existaient continuent d’exister même si elles changent parfois de bénéficiaire. Les filtres que l’on avait abolis sont remplacés par d’autres filtres poursuivant les mêmes objectifs mais avec d’autres moyens. Des intermédiaires sont supprimés avant que d’autres intermédiaires ne soient réinvités à faire tourner le business.
Une puissance de feu inédite

Pour le dire de manière plus simple, Mark Zuckerberg ou Serguei Brin et Larry Page ont beau être les trois hommes disposant d’une puissance de feu absolument inédite et inégalée en termes de contrôle de l’information depuis que l’humanité existe, ils sont aussi ceux qui font face à la plus forte pression du politique et des lobbys économiques, et ceux dont les entreprises sont les plus sensibles et les plus dépendantes de l’image qu’elles renvoient dans « l’opinion ».

Mais cette hypothèse optimiste ne vaut qu’à la condition que chacun apporte sa pierre à l’édifice :

    que les enseignants comprennent et maîtrisent ces enjeux pour être capables de les transmettre,
    que la classe politique accepte de sortir de la vision caricaturale dans laquelle elle englobe depuis 25 ans un écosystème qu’elle ne comprend pas et qu’elle est incapable de questionner autrement qu’au travers d’une gribouille de régulation(s), de sanction(s) ou de condamnations morales,
    et que chaque citoyen prenne conscience du poids qu’il peut jouer pour contribuer à dégoogliser ou à défacebookiser les internets.
    Last but not least, elle dépendra aussi de la capacité des ingénieurs à se saisir de ces enjeux, à mesurer leur responsabilité (« code is law »), et à bâtir des systèmes ouverts proposant un cadre attentionnel différent, pour que des millions d’heures ne soient plus volées à la vie des gens. Un bien beau projet de société.

Qui reste entièrement à bâtir
http://rue89.nouvelobs.com/2016/12/10/peur-les-internets-265862
Fewzi Benhabib : "La laïcité est accusée de tous les maux, la liberté d’expression est sous protection policière et le blasphème est en sursis" (Conférence-débat du 26 nov. 16) - Comité Laïcité République
Wed Dec 7 22:21:35 2016
Fewzi Benhabib : "La laïcité est accusée de tous les maux, la liberté d’expression est sous protection policière et le blasphème est en sursis" (Conférence-débat du 26 nov. 16)

Fewzi Benhabib, membre fondateur de l’Observatoire de la laïcité de Saint-Denis. 3 décembre 2016

Mesdames, Messieurs, Chers amis,

Merci tout d’abord d’avoir répondu, si nombreuses, si nombreux, à notre appel, à être là à notre rencontre : "République laïque et sociale en danger !"

Oui, la République est en danger ! Elle l’est dans ses fondements mêmes, à l’heure où montent les intégrismes religieux, à l’heure où, au seuil du pouvoir, le Front National est en embuscade, à l’heure où sonne le tocsin des trahisons de toute sorte.

L’idée de cette rencontre n’a pas germé en nous de façon fortuite. Le 27 mai 2015, notre ami Guylain Chevrier était l’invité à Saint-Denis de l’Observatoire pour mettre en lumière les liens des combats laïque et social. Sa conférence a été sabordée par ceux là mêmes qui ont ouvert un boulevard aux islamistes : les idiots utiles de tous bords et les champions du « OUI MAIS » [1].

Au cœur de Saint-Denis, la liberté d’expression venait d’être bafouée par un groupuscule s’érigeant en police de la pensée et les Dionysien(ne)s, spoliés du droit au débat public au cœur de la maison commune.

Ce jour-là, nous avons pris la mesure du danger qui guette la République ; nous nous sommes jurés d’organiser la riposte et de faire de l’idéal laïque un combat central. Grâce au soutien de nombreuses associations féministes et laïques et à l’appui de nos amis du Comité Laïcité République, nous avons réussi à nous relever et réorganisé avec succès la même conférence [2].

Cette épreuve nous a aguerris. Elle a aussi suscité une adhésion que nous ne soupçonnions même pas, qui nous a permis de sortir des murs de Saint-Denis pour cheminer ensemble avec d’autres laïques et créer l’événement d’aujourd’hui.

Chers amis, les dérives que j’ai constatées en France, je les avais déjà vues à l’œuvre en Algérie. J’avais quitté mon pays avec l’intime conviction que je ne revivrai plus les affres de l’islamisme politique dès lors que je gagnerai le rivage nord de la méditerranée. Aujourd’hui, mes angoisses sont plus fortes que jamais. Le pays où je vis depuis 22 ans, la France, a perdu un peu de son âme et beaucoup de ses repères [3].

Les Mille et une nuits à l’index [4]

Là où l’islamisme perce, il prospère de la même manière partout dans le monde. Il avance toujours masqué, pour anesthésier les consciences et désarmer la vigilance. Ses cibles de préférence sont les enfants, donc l’Ecole, et les femmes.

Tout a commencé en Algérie par l’Ecole où les islamistes réussirent le tour de force de transformer le système éducatif en usine à intégristes.

Je me souviendrai à jamais de cette directive d’un inspecteur de pédagogie de Sidi Bel Abbès qui eut l’idée, un jour, de mettre à l’index un des monuments de la littérature arabe, Les mille et une nuits, au motif que leur lecture disait-il, encourage « le vice et le péché » et est une « offense à la décence ».

Le but premier d’une telle école est d’enfermer l’enfant dans une logique binaire, celle du halal et du haram, du pie et de l’impie, du licite et de l’illicite, et de l’arracher à son milieu pour le séquestrer dans l’orbite de la Oumma. Une telle école n’a pas vocation à produire un futur citoyen autonome, pétri de rationalité et ouvert à l’altérité, mais un fanatique et pourquoi pas un futur soldat car c’est dans une tête vide que germe le mieux la graine de la violence.

Les municipalités FIS avaient fermé les conservatoires et proscrit le divertissement. Comment en est-on arrivé à interdire la musique et la danse, à profaner l’art en le dénonçant comme une volupté coupable, importée d’ailleurs ?

Un discours d’une rare violence montait des mosquées, appelant à la haine des femmes et à la mise à l’index de tout ce qui était porteur d’horizons nouveaux. Le prêche armait le bras de ceux qui allaient devenir des fauves, brandissant des armes pour décapiter les têtes qui émergent.

Le terrorisme islamiste n’est pas aveugle. Il n’est pas un fait divers ; c’est un acte politique programmé qui s’inscrit dans une vision du monde réfractaire aux libertés, à la pluralité, à tout ce qui fait l’humain.

Nous avons été les témoins et les victimes d’une barbarie extrême. Et nous avons constaté la dimension planétaire prise par l’intégrisme islamiste.

Le but du terrorisme islamiste était clair : instiller la frayeur pour dissuader de toute velléité de révolte, de résistance et tétaniser la société.

Les islamistes accueillis, les démocrates ignorés

La classe politique française, dans son écrasante majorité, avait refusé de comprendre ce qui se tramait sur son flanc sud. La France en paye cruellement les conséquences aujourd’hui. Au lieu de prêter main forte aux démocrates pour instaurer la paix dans toute la méditerranée et ouvrir le champ à l’émergence de véritables états républicains en Afrique du Nord et au Moyen Orient, elle a préféré chausser les lunettes de la courte vue et courtiser les islamistes.

A mon arrivée en France, j’ai été stupéfait de constater que les militants du Front Islamique du Salut, le FIS, ceux qui nous assassinaient à tour de bras, ont été accueillis comme des réfugiés politiques tandis que les démocrates étaient livrés à eux mêmes. Beaucoup parmi nous ont eu du mal à régulariser leurs papiers pour pouvoir s’établir en France. En revanche, les militants du FIS ont pu bénéficier du statut de réfugié politique au motif que les islamistes étaient victimes d’un …« terrorisme d’Etat » !

Ils venaient en fait de recevoir le feu vert de la France de mettre le pied à l’étrier politique, de construire des centaines d’associations et d’étendre leur toile.

Le choc que j’avais eu alors était énorme mais mes désillusions ne faisaient que commencer. Dans les médias, j’ai vu fleurir toutes sortes de commentaires dont le seul but était de brouiller l’analyse politique et de laver de tout soupçon les assassins. On avait même forgé la notion d’« éradicateur » pour convaincre l’opinion publique que les islamistes n’étaient rien d’autre que des agneaux et des démocrates.

La ligue française des droits de l’Homme avait poussé le cynisme à qualifier l’escadron de la mort du Groupe Islamique Armé, de « groupe armé d’opposition ». C’était le comble ! Une organisation humanitaire venait d’absoudre ainsi les bouchers du GIA de leurs crimes en les justifiant par la légitime défense.

Même quand les islamistes revendiquaient leurs crimes, on faisait croire qu’ils étaient manipulés par les services de sécurité algériens !

À chaque fois que le terrorisme islamiste frappe, remontent en moi les décennies d’horreur de l’Algérie. J’y reconnais la même filiation idéologique, les mêmes méthodes, la même signature. Le terrorisme islamiste frappe la France pour tout ce qu’elle représente dans le monde : la Révolution de 1789, la liberté, la laïcité, l’égalité, en un mot les principes universels.

L’Etat islamique n’est pas uniquement là-bas ! Il est là-bas et ici !

Le terrorisme islamiste est dans la stratégie de la tension. Il veut aggraver les fractures au sein de la société française, pousser au "clash des civilisations", amener les groupes extrémistes à basculer dans la violence pour précipiter la France dans la guerre civile.

L’Etat islamique n’est pas uniquement là-bas ! Il est là-bas et ici ! Il est dans nos villes et nos villages !

Mais voyez-vous, le combat contre lui ne peut pas se limiter au seul registre du répressif comme c’est le cas aujourd’hui en France. L’islamisme est à combattre sur tous les plans : idéologique, politique, médiatique, économique, financier,

Les chiffres ne trompent pas. Selon l’institut Montaigne, prés de la moitié des jeunes de 15 à 25 ans place la religion au dessus de la République [5].

A Saint-Denis, le hidjab, tel un étendard, s’est généralisé et ensevelit les femmes sous un linceul. Même des fillettes le portent. Plus tard, elles pourront dire : « Le voile, c’est mon choix ! ». Pourtant, le voile islamique n’a rien à voir avec la tradition musulmane mais les islamistes en ont fait le sixième pilier dans un islam qui n’en compte que …cinq ! [6]

L’islamisme a eu tout le temps de labourer des territoires entiers pour en faire des hauts lieux du communautarisme. Le halal fait son beurre dans un business qui pèse aujourd’hui plus de cinq milliards d’euros. Evidemment, les boucheries n’y échappent pas. Les épiceries aussi, et les magasins de mode ne déclinent plus dans leurs vitrines que la gamme très réduite de l’habit islamique. Des salons de coiffure sont halal. Comble de l’invraisemblable, les ongleries le sont aussi ! Il s’est répandu dans le tourisme, les cosmétiques, la confiserie et la pâtisserie. Les babas au rhum sont tous servis sans une goutte d’alcool ! Tenez-vous bien pour rassurer le consommateur sourcilleux, des bandelettes de commerce permettent de tester …la teneur en porc ou en alcool de son plat !

Une ligne de bus halal

A côté d’hommes qui ne serrent plus la main aux femmes, aujourd’hui des chauffeurs de la RATP refusent de prendre le bus après une femme. On dit même que toute une ligne de bus est devenue halal sous l’œil complice de la RATP. Paix sociale oblige !

Des mosquées, véritables tribunes politiques, délivrent souvent un prêche où dégoulinent haine et fanatisme. Les librairies islamistes sont légion. Evidemment les grandes vedettes de l’islam politique, Hani et Tarik Ramadan, Said Kotb et Hassan el Bana notamment, trônent sur leurs étagères mais aucune place n’est faite à des islamologues humanistes comme Tahar Haddad, Mohamed Arkoun ou Abdelwaheb Meddeb.

Que dire alors de la place du roman, de la fiction, de la poésie ou de la connaissance universelle ? Kateb Yacine, Assia Djebbar, Driss Chraïbi, Aboul Qassem Echebbi ou Naguib Mahfouz, ce géant de la littérature arabe et prix Nobel de littérature, qui a été poignardé en 1994 par un membre de la Gamaa Islamiya au Caire ou bien le romancier algérien Kamel Daoud qui a essuyé une fatwa pour atteinte « aux principes de l’islam » ? Ils sont tous persona non grata.

Dans ces lieux, la fiction et le rêve sont une hérésie et la culture se résume au politico-cultuel.

Au cœur de la République française, une jeunesse est livrée à une insidieuse machine à décerveler dont l’objectif est d’imposer une grille de lecture unique et de passer les musulmans sous les fourches caudines d’une idéologie fasciste.

L’imposture est telle que les valeurs universelles sont qualifiées de « racistes » et de « coloniales ». Tandis que les amis du PIR, parti des indigènes de la république, organisent dans des universités « des ateliers de paroles non blanches » [7], Voltaire et Rousseau sont montrés du doigt.

La laïcité est accusée de tous les maux, la liberté d’expression est sous protection policière et le blasphème est en sursis.

Tandis que « l’islamophobie » est brandie comme une arme de chantage, l’Arabie saoudite et le Qatar ont métastasé dans nos quartiers ; nos enfants se shootent au wahabbisme et la France est devenue la première couveuse de djihadistes de l’Europe.

La rue est un cimetière à ciel ouvert

Tandis que la laïcité est agitée comme « une arme de stigmatisation des musulmans », la caricature et l’humour sont dans une mare de sang et des slameurs en mal de fatwas appellent au meurtre des laïques.

Tandis que la gauche a renié son histoire, le Front National a fait main basse sur la laïcité et risque de réussir le hold up du siècle en nous volant la République [8].

Tandis que les politiques regardent ailleurs en achetant en sous main des voix, la rue est un cimetière à ciel ouvert et le sang gicle sur notre quotidien.

Tandis qu’on nous bassine avec le « pas d’amalgame », des Français déchargent leurs kalachnikovs sur d’autres Français au nom du blasphème.

Tandis que l’islamisme a pris les armes contre la République, les idiots utiles se prosternent devant lui ! [9] Oui, la lâcheté et la forfaiture ont donné des ailes aux intégrismes !

Chers amis, la République est face à des défis considérables. Rares sont ceux qui nomment le mal. On le sait, quand la lucidité et le courage sont absents, la plume trébuche, la langue fourche, les mots fuient. ! Mais comment peut-on guérir le mal si l’on refuse de reconnaître son existence.

Pourtant, l’Histoire enseigne que la démocratie est fragile et se laisse souvent prendre au piège du chant des sirènes C’est pourquoi nous devons protéger la laïcité comme la prunelle de nos yeux. L’islamisme politique n’est pas compatible avec la démocratie. Il en est l’antidote, la négation et son ennemi !

Chers amis, le combat que nous livrons n’oppose pas l’Orient à l’Occident, n’oppose pas le christianisme ou le judaïsme à l’islam. Notre lutte, c’est celle des Lumières contre les ténèbres de l’intégrisme, notre combat c’est celui de la rationalité contre la clôture du dogme, c’est celui de la laïcité contre la tutelle du religieux sur la loi des Hommes.

« Le clash des civilisations » est un chemin sans issue. Notre boussole, c’est celle de la civilisation de l’humanité contre l’obscurantisme, de l’humanisme contre la barbarie, car l’islamisme n’est pas une civilisation mais sa déchéance.

Chers amis, la laïcité n’a besoin d’aucun qualificatif, elle se suffit à elle même. Si la laïcité est le génie du peuple français, elle ne lui appartient plus. La laïcité n’est ni orientale, ni occidentale.Elle est universelle !

La langue universelle des peuples, c’est la laïcité, car elle seule reconnaît la singularité dans l’unité, car elle seule est la garantie de la cohésion des sociétés humaines, le préalable à la coexistence pacifique entre les peuples. C’est pourquoi son horizon, c’est la paix dans le monde.

De réformes trahies en rendez-vous manqués, de défaites en désillusions, nous avons appris à ancrer nos espérances dans le combat au quotidien et la résistance. C’est pour cela, que je vous appelle toutes et tous au combat !

Vive la République ! Vive la laïcité !

[1] Voir 27 mai 2015 : débat interdit à Saint-Denis (note du CLR).

[2] Voir Conférence débat "Pas de progrès social sans laïcité !" (OLSD, Saint-Denis, 3 déc. 15), La laïcité fait un tabac à Saint-Denis : « Pas de progrès social sans laïcité ! » (G. Chevrier) (note du CLR).

[3] Voir "Saint-Denis : ma ville à l’heure islamiste" (F. Benhabib, Marianne, 16 nov. 15) (note du CLR).

[4] Les intertitres sont ajoutés par la rédaction du site du CLR.

[5] Lire Sondage sur l’islam : "l’échec de l’intégration culturelle" (F. Saint Clair, lefigaro.fr/vox , 19 sept. 16), "Musulmans de France, l’enquête qui fait peur" (E. Lévy, causeur.fr , 19 sept. 16) (note du CLR).

[6] Lire "Quand Nasser se moquait des Frères musulmans et du voile islamique" (france24.com , 2 oct. 12) (note du CLR).

[7] Lire "« La non-mixité racisée » : un racisme qui ne dit pas son nom" (A. Jakubowicz, 14 av. 16) (note du CLR).

[8] Voir “Ils ont volé la laïcité”, par Patrick Kessel (éd. Gawsewitch-Balland, 2012) (note du CLR).

[9] Voir Colloque "Faux amis de la laïcité et idiots utiles" (CLR, Licra, Paris, 5 nov. 16) (note du CLR).
Post scriptum

Voir aussi Conférence-débat : "La République laïque et sociale en danger : la parole aux citoyens !" (CLR & OLSD, Paris, 26 nov. 16) (note du CLR).
http://www.laicite-republique.org/fewzi-benhabib-ouverture-de-la-conference-debat-la-republique-laique-et-sociale.html
Le curieux procès Bruckner - Le Point
Wed Dec 7 22:03:52 2016

Le curieux procès Bruckner
L'intellectuel comparaissait mercredi devant la 17e chambre pour des propos visant deux associations "complices idéologiques" des terroristes. Récit.
Par Saïd Mahrane (*)
Modifié le 01/12/2016 à 15:05 - Publié le 01/12/2016 à 11:25 | Le Point.fr
Pascal Bruckner, intellectuel engagé mais traîné devant les tribunaux.
Pascal Bruckner, intellectuel engagé mais traîné devant les tribunaux. © ZUMA Wire / Aristidis Vafeiadakis/ZUMA/REA

Une drôle d'époque, vraiment. Un intellectuel, pas un polémiste qui l'aurait bien cherché, pas un raciste notoire et multirécidiviste, mais un intellectuel, assis et fourbu dans un prétoire et, un peu plus tôt, debout à la barre, levant la main droite devant un juge et jurant de dire la vérité, rien que la vérité. Une drôle d'époque, vraiment, et un triste spectacle. Ainsi Pascal Bruckner. Mercredi, dans une indifférence médiatique générale, le philosophe était convoqué devant la 17e chambre du palais de justice de Paris pour avoir déclaré, en 2015, sur le plateau de 28 Minutes, une émission d'Arte, qu'il fallait « faire le dossier des collabos, des assassins de Charlie ». Et l'écrivain de citer, outre Guy Bedos et le rappeur Nekfeu, les associations Les Indivisibles de la militante antiraciste Rokhaya Diallo (qui n'en est plus membre) et Les Indigènes de la République d'Houria Bouteldja. Par leurs écrits et leurs actions militantes, ces associations auraient, selon Bruckner, « justifié idéologiquement la mort des journalistes de Charlie Hebdo ». Les Indivisibles et Le Parti des indigènes de la République ont déposé une plainte pour diffamation contre l'intellectuel, mais aussi contre Jeannette Bougrab, absente à l'audience, pour des déclarations de la même teneur.

Il s'agissait donc, pour la défense, de mettre en évidence l'idéologie de ces militants identitaires qui, outre leurs actions contre un supposé racisme d'État, font parfois des terroristes les victimes d'une France haineuse à l'endroit de ses citoyens d'origine étrangère, et des victimes les premières responsables de leur funeste sort. Le mérite de ce procès fut d'abord le débat de fond qu'il a permis durant plusieurs heures, notamment grâce aux interventions des témoins cités : le directeur de Charlie Hebdo, Riss, le politiste Laurent Bouvet, l'ancienne présidente de Ni putes ni soumises Sihem Habchi ou encore le philosophe Luc Ferry. Si chacun a reconnu l'existence d'un racisme ou d'une xénophobie visant des minorités, les intervenants ont d'abord clamé leur liberté de pouvoir critiquer toutes les religions, l'islam compris, sans pour autant être considérés comme des « islamophobes ». Un terme que tous ont récusé, y voyant un instrument d'intimidation infamant, sinon « une escroquerie intellectuelle ».
Cette déclaration est « une évidence et elle le reste »

Appelé à s'expliquer sur le sens de ses propos, Pascal Bruckner a dit les assumer, et être même prêt à les répéter. Cette déclaration faite sur Arte est pour lui « une évidence et elle le reste ». L'usage du terme « collabo » renvoie, explique-t-il, à la Seconde Guerre mondiale et à « ces journaux qui ont justifié la liquidation des résistants ou des juifs ». Luc Ferry parlera de « complicité objective » entre ces associations et les terroristes, « comme Rebatet et Drumont étaient les complices objectifs du fascisme. Comme Aragon et Althusser qui, s'ils n'ont pas armé la mitraillette, ont été les complices du stalinisme ». Pour Bruckner, la rhétorique victimaire et l'excuse sociale dès lors qu'il s'agit pour ces associations d'expliquer, par exemple, l'incendie de Charlie Hebdo survenu en 2011 ou la tuerie du 7 janvier 2015 « accoutument les esprits et reviennent à dire que Charlie Hebdo a mérité, en quelque sorte, un châtiment exemplaire ». Son avocat, Richard Malka, a lu durant l'audience des extraits troublants du livre d'Houria Bouteldja, porte-parole des Indigènes de la République, intitulé Mohamed Merah et moi : « Mohamed Merah, c'est moi, et moi, je suis lui. Nous sommes de la même origine mais surtout de la même condition. Nous sommes des sujets postcoloniaux. Nous sommes des indigènes de la république. » Bruckner, dans la foulée, a cité Sartre : « Les mots sont des pistolets chargés. »
Traître à ta race.

Mais le témoignage le plus fort fut incontestablement celui de l'ancienne présidente de Ni putes ni soumises. Militante associative de longue date, Sihem Habchi a vu de près les conséquences de ces discours radicaux sur « les jeunes des quartiers ». La jeune femme parle d'un « fascisme vert » – évoque aussi, par ailleurs, un « fascisme blanc » – qui propage « l'idéologie de l'opprimé et installe l'idée que ces jeunes ne sortiront jamais de leur condition et que les coupables sont la République et la France ». Elle rapporte ses expériences de terrain, les insultes et les menaces proférées à son encontre, dont celle-ci : « Traître à ta race. » Durant des années, cette militante antiraciste et féministe a tenté vainement de contrer l'influence de ce que Laurent Bouvet a appelé « les entrepreneurs identitaires ». Riss, actuel directeur de Charlie hebdo, a dit quant à lui « comprendre » les propos de Bruckner : « On ressentait ça à Charlie, on craignait les conséquences de ces discours agressifs contre ceux qui critiquent les religions. Ce qu'a dit Bruckner était de son devoir. » Tous les intervenants se sont accordés sur le fait que ces associations cherchaient d'abord à « faire taire les gens ».

Le président des Indivisibles, Amadou Ka, a regretté que l'on fasse « porter le chapeau » à son association, qui « condamne ces choses ignobles » que sont les actes terroristes. Il a, en outre, déclaré que « des minorités sont stigmatisées et que la parole raciste se libère en France », se prévalant d'avoir fait condamner, avec d'autres associations, Éric Zemmour pour provocation à la haine envers les musulmans pour des propos tenus dans un journal italien. Amadou Ka a invoqué « la satire » pour justifier l'attribution de Y'a bon Awards – Bruckner assure en avoir reçu un dans sa boîte aux lettres... – à des personnalités qui véhiculeraient des « préjugés ethno-raciaux ».

Combatif, Bruckner a ainsi conclu : « La mal-nommée Les Indivisibles aurait dû s'appeler Les Divisibles, car elle désigne des gens à l'opprobre général et insiste sur la culpabilité occidentale pour instiller la mauvaise conscience au sein de la population et de l'intelligentsia. » Le verdict sera rendu le 17 janvier...
(*) co-auteur avec Riss et Richard Malka, cités dans cet article, d'une bande dessinée sur Marine Le Pen.
http://www.lepoint.fr/societe/le-curieux-proces-bruckner-01-12-2016-2087138_23.php
« Blue & Lonesome » des Rolling Stones : retour vers le passé
Fri Dec 2 20:34:02 2016
http://abonnes.lemonde.fr/musiques/article/2016/12/02/rolling-stones-retour-vers-le-passe_5042477_1654986.html
Liste de remplacement pour Zone-Téléchargement - Chez OuahOuah - des liens et du hack !
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Télécharger les ISO de Windows 7, 8.1 ou 10 depuis le site de Microsoft – Tech2Tech | News, Astuces, Tutos, Vidéos autour de l'informatique
Wed Nov 30 19:29:00 2016
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Idées reçues sur les fonctionnaires (4/4) : « Supprimer des postes dans le public en crée dans le privé »
Tue Nov 29 20:04:52 2016
Idées reçues sur les fonctionnaires (4/4) : « Supprimer des postes dans le public en crée dans le privé »

L’économiste Nicolas Bouzou affirme que « quand on crée un emploi public, on supprime un et demi emploi privé ». Une assertion au centre de la campagne de François Fillon, mais qui est loin d’être évidente à prouver.

LE MONDE | 29.11.2016 à 17h28 • Mis à jour le 29.11.2016 à 19h01 | Par Laura Motet
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Des policiers anti-émeute se préparent pour un exercice préparatoire lors de la Coupe d’Europe de football, en mai, à Marseille.

Cet article est le dernier d’une série en quatre volets sur les idées reçues concernant les fonctionnaires.

François Fillon le répète régulièrement : supprimer 500 000 postes dans la fonction publique va permettre de réaliser des économies substantielles, qui serviront à baisser les charges sur les entreprises et donc à créer de l’emploi dans le secteur privé. « Il faut un choc libéral pour redresser le pays », expliquait-il à France Inter, le 26 septembre. Un lien entre suppression des emplois publics et création des emplois privés qu’a tenté de confirmer l’économiste Nicolas Bouzou sur la même antenne le 22 novembre :

    « Quand on crée un emploi public, on supprime un et demi emploi privé, cela détruit de la richesse […], pas sur le moment, mais au bout de plusieurs mois, voire plusieurs années. »

Si cette affirmation s’appuie sur une étude sérieuse effectuée en 2001 sur dix-sept pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), elle omet de préciser les nombreuses limites soulevées par ses auteurs. Des limites qui concernent particulièrement le cas français.
Une étude très prudente, loin des affirmations univoques

Nombreux sont les articles mettant en avant les créations d’emplois dans le secteur privé grâce aux suppressions de postes dans le secteur public, mais rares sont les études sérieuses sur le sujet.

Le 22 novembre, sur France Inter, Nicolas Bouzou cite l’une d’entre elles, publiée en 2001 par Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg. Ces économistes ont étudié l’emploi public dans dix-sept pays de l’OCDE, dont la France, entre 1960 et 2000. Leur conclusion reflète le chiffre donné par Nicolas Bouzou : « Les investigations empiriques suggèrent que la création d’un emploi public détruit environ un et demi emploi privé, augmente le nombre de chômeurs de 0,3 [personne] et diminue faiblement la participation au marché du travail. »

Mais Nicolas Bouzou reprend ce chiffre sans souligner toutes les limites qui font que ce constat n’est pas applicable immédiatement à la France. Les trois économistes observent une tendance dans dix-sept pays aux contextes nationaux très différents. Mais elle est plus ou moins prononcée dans chacun de ces pays, selon le niveau de deux variables principales : la possibilité de substituer des biens et des services publics par le privé et l’existence de rentes de situation dans le secteur public.

La variable de la possibilité de « concurrence » public-privé. Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg estiment que « l’emploi public peut avoir une influence positive sur la productivité et la rentabilité des emplois privés. La sphère publique produit en effet des biens et des services susceptibles d’améliorer le fonctionnement de l’économie. On peut songer, par exemple, à la justice, à la police ou encore aux infrastructures publiques telles que les transports. Une meilleure couverture du réseau des transports public – qui nécessite plus de contrôleurs et de conducteurs – peut accélérer le développement des entreprises privées ».

Mais dans le cas de biens et services substituables, c’est-à-dire de biens et de services identiques qui répondent aux mêmes besoins, « une expansion de l’emploi public diminue la rentabilité des emplois privés et freine donc leur création. Par exemple, si l’Etat décide d’accroître le nombre d’hôpitaux publics, le nombre d’établissements privés risque de diminuer, il y aura plus d’infirmières travaillant dans le secteur public et moins dans le secteur privé. Des emplois publics auront ainsi “évincé” des emplois privés ».

Les chercheurs placent la France parmi les pays ayant une « substituabilité faible » au sein de leur échantillon des dix-sept pays de l’OCDE. Cela signifie que les biens et les services produits par le secteur public français ne répondent pas aux mêmes besoins que les biens et services proposés par le secteur privé : il y a peu de métiers exercés dans le secteur public qui pourraient être remplacés par des métiers du secteur privé. Les emplois publics non substituables correspondent en partie aux fonctions dites « régaliennes » (police, justice, défense). L’effet d’éviction de l’emploi public par l’emploi privé dû à la substituabilité est donc plus limité en France que dans la moyenne des pays de l’OCDE.

La variable des « rentes de situation » des fonctionnaires. L’autre variable évoquée par Yann Algan, Pierre Cahuc et André Zylberberg est l’existence de rentes de situation dans le secteur public. Les rentes de situations sont des avantages monétaires (bon salaire) et non monétaires (bonnes conditions de travail, sécurité de l’emploi). « En améliorant les perspectives d’embauche, la création d’emplois publics détourne certains travailleurs du secteur privé [puisqu’ils préfèrent rejoindre le secteur public] », avancent les chercheurs, tout en poursuivant : « Cela ne signifie pas que de tels avantages sont nécessairement contre-productifs. En pratique, ils peuvent permettre d’attirer les travailleurs les plus efficaces dans ce secteur, et donc d’accroître l’efficacité globale de l’économie si la production de biens publics favorise la production de biens privés. »

Si le chiffre donné par Nicolas Bouzou frappe les esprits, il n’est donc pas applicable directement au cas français. Il correspond à une moyenne de dix-sept pays, qui ont, en moyenne, une rente de situation inférieure à celle de la France et une substituabilité supérieure à celle de la France.

Par ailleurs, selon les chercheurs, ce chiffre ne saurait aucunement justifier les suppressions de postes dans la fonction publique, même dans un pays ayant une rente de situation et une substituabilité égales à la moyenne des dix-sept pays de l’OCDE.

    « Ce résultat ne signifie pas que le secteur public est trop important dans les pays où les effets d’éviction sur l’emploi privé sont les plus forts. A ce titre, il est intéressant de noter que l’Espagne et le Japon, où les effets d’éviction sont importants, ont un secteur public plutôt de faible ampleur. »

Les chercheurs soulignent également qu’il existe des impacts positifs sur le taux d’emploi des minorités lorsque ce sont les pouvoirs publics qui s’occupent du recrutement.

    « Pour évaluer les conséquences de l’emploi public il est aussi important de ne pas négliger les effets potentiellement positifs du secteur public sur l’emploi de certains groupes. Ainsi, la hausse du taux d’emploi des femmes en Suède a été attribuée en grande partie à la création d’emplois publics locaux. Par ailleurs, on peut concevoir que l’emploi dans le secteur public puisse palier, au moins temporairement, d’éventuelles discriminations subies par certaines minorités ethniques dans leur parcours professionnel. »

Une partie des agents de la fonction publique, les titulaires, sont en effet principalement recrutés par concours (et non uniquement sur curriculum vitae et entretien).

L’étude dont est tirée l’affirmation de Nicolas Bouzou, « quand on crée un emploi public, on supprime un et demi emploi privé », invite donc à nuancer fortement le chiffre qu’elle avance.
Substituer des emplois publics par des privés, pas si facile

Au-delà du chiffre avancé, Luc Rouban, sociologue et auteur de La Fonction publique en débat (La Documentation française), insiste également sur l’absence de substitution évidente entre emploi public et emploi privé :

    « On ne peut pas affirmer que les postes de médecins dans les hôpitaux publics et les cliniques privées sont identiques. Les cliniques privées se spécialisent dans les services les plus lucratifs, comme la chirurgie esthétique, et ne s’occupent pas des traitements peu rentables, comme celui des maladies rares. »

Il souligne également que, quand bien même certains emplois sont identiques dans le public et dans le privé, la privatisation n’est pas toujours un bon calcul économique :

    « La fourniture d’eau potable est l’exemple parfait du type de services que les collectivités locales ont privatisé et sur lequel elles sont en train de revenir. En privatisant ce service, les collectivités locales ont eu un vrai problème de suivi des coûts. Les entreprises privées leur facturaient des fuites d’eau à réparer, des interventions préventives, etc. Impossible pour les collectivités locales de savoir ce qu’il en était vraiment. »

Le 1er janvier 2010, la fourniture de l’eau a été remunicipalisée dans la capitale. Anne Le Strat, présidente d’Eau de Paris et adjointe au maire de Paris jusqu’en 2014, explique la baisse du prix de l’eau potable de 8 % en 2011 par cette remunicipalisation : « Avant le passage en régie, Veolia et la Lyonnaise, qui géraient l’eau potable à parts égales, nous facturaient chaque année 17 millions d’euros de travaux. En 2011, nous en avons dépensé 11 millions, et cela, à périmètre égal. »

Si le chiffre avancé par Nicolas Bouzou est le fruit d’une étude sérieuse, il omet donc de mentionner une limite clairement exprimée par les trois auteurs de l’étude : ce chiffre n’est pas un argument en faveur de la réduction du nombre d’emplois publics. Une approche moins théorique souligne également que la question de la substituabilité est plus complexe qu’il n’y paraît : toute substitution des emplois publics par des emplois privés n’est pas systématiquement économiquement intéressante
http://abonnes.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/11/29/idees-recues-sur-les-fonctionnaires-4-4-supprimer-des-postes-dans-le-public-permet-d-en-creer-davantage-dans-le-prive_5040397_4355770.html
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