Suppression de l’ISF : les trois erreurs du débutant Manu
Jacques Littauer
Mis en ligne le 25 octobre 2021
En 2017, contrairement à toute logique économique, Emmanuel Macron avait réussi à faire croire qu’en baissant les impôts des très riches, ceux-ci allaient se mettre à investir plus dans les entreprises. Quatre ans après, les résultats sont tombés. Ils sont, sans surprise, très mauvais. Alors qu'aux États-Unis, les démocrates vont soumettre au Congrès un impôt sur les ultra-riches, Macron continue à nier les évidences, fier d'être et de rester le président de ses meilleurs amis.
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« Remplacer l’ISF par un impôt sur la fortune immobilière » : sur ce point, on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de nous avoir pris par surprise, cette phrase figurant explicitement dans son programme de 2017. En 2019, les « gilets jaunes » demanderont le rétablissement de l’ISF. Ce à quoi le Président a répondu : « Il ne faut pas raconter des cracks, ce n’est pas parce qu’on remettra l’ISF que la situation d’un seul gilet jaune s’améliorera. »
Pour Emmanuel Macron, cette mesure devait rendre l’économie française plus compétitive. En réalité, sa décision repose sur une erreur de diagnostic, qui a conduit à une énorme erreur de politique économique, aux dépens des ressources de l’État.
Première erreur : des exilés fiscaux, où ça ?
Le 10 décembre 2018, en pleine crise des gilets jaunes, le Président explique son choix dans une allocution aux Français : « Je sais que certains voudraient dans ce contexte que je revienne sur la réforme de l’impôt sur la fortune mais pendant près de 40 ans, il a existé ; vivions-nous mieux durant cette période ? Les plus riches partaient et notre pays s’affaiblissait. »
Petit problème : aucune étude n’a démontré la réalité de cet exil fiscal, présenté comme une évidence depuis la création de l’ISF, en 1988. Le plus marrant est que cet argument a été démonté par le magazine Forbes, celui des milliardaires, qualifiant, études à l’appui, cette affirmation récurrente dans le monde des affaires de « (très) loin d’être exacte » !
Cela n’empêchait pas, en février 2019, le journal Les Échos de titrer : « EXCLUSIF : Ce que l’exil fiscal coûte aux finances publiques ». Résultat : les pertes de collecte d’ISF de 20 millions d’euros par an. Mais si on se rappelle que l’ISF rapportait 5 milliards, cela fait exactement une perte de 4 euros de perdus pour 1 000 euros collectés. Oh mon Dieu.
D’ailleurs, entre 2011 et 2017, le nombre de redevables de l’ISF a nettement augmenté, passant de 287 000 à 358 000 ménages. Or, s’ils sont restés, c’est qu’ils ne sont pas partis. L’exode fiscal des plus riches est décidément introuvable.
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Deuxième erreur : la suppression de l’incitation à investir
Les concepteurs de l’ISF étaient conscients des potentiels effets négatifs sur l’outil de production. C’est pourquoi les biens professionnels étaient exclus du patrimoine pris en compte. Mais comme Manu l’a dit, toujours en décembre 2018 : « Conformément aux engagements pris devant vous, cet impôt a été supprimé pour ceux qui investissent dans notre économie et donc aident à créer des emplois. »
Or, il était possible de déduire l’investissement dans les PME de son ISF. En supprimant l’ISF, Emmanuel Macron a en fait réduit l’incitation à investir dans les PME ! Cet argument, évident pour tout économiste honnête, aurait dû être dit et répété au moment de la suppression de l’ISF. Mais combien de fois l’avez-vous entendu ?
Résultat : c’est sans surprise que France Stratégie – organisme public dirigé par Philippe Martin, proche conseiller d’Emmanuel Macron en 2017 – a montré que la suppression de l’ISF n’avait atteint aucun de ses objectifs. Le comité d’évaluation a montré trois choses dans son rapport : aucune hausse des investissements productifs ; une hausse des dividendes versés aux actionnaires ; pas de transmission plus facile des entreprises.
Les idéologues d’En Marche ont répondu que cette réforme était dans une logique « de long terme », et que les effets allaient venir, si si. Ce à quoi Laurent Bach, membre de l’Institut des politiques publiques, professeur à l’ESSEC et coauteur de la partie ISF du rapport, a rétorqué que « si on avait dû voir une réaction des entreprises aux réformes, on l’aurait déjà vue ».
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Troisième erreur : la baisse des recettes publiques
Manu et Édouard Philippe nous avaient raconté la fable habituelle selon laquelle lorsque l’État diminue les impôts, et donc se prive de recettes fiscales, ses recettes fiscales augmentent. Oui oui. Cet argument absurde est servi par toutes les droites du monde depuis un certain Renald Reagan et un certain Arthur Laffer, « inventeur » d’une courbe bidon selon laquelle les recettes fiscales diminuent quand les impôts augmentent.
C’est en son nom qu’Édouard Balladur, puis Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy n’ont cessé de baisser les impôts. Ce qui avait valu à l’époque une énorme colère du député Gilles Carrez, qui avait pointé, en 2010, une perte de 100 milliards d’euros pour la collectivité.
En 2017, dernière année de sa mise en œuvre, l’ISF avait rapporté un peu plus de 5 milliards d’euros. Soit un impôt moyen de 14 000 par foyer fiscal, une somme pas énorme pour des millionnaires. L’étude de France Stratégie montre même que le taux réel de taxation de l’ISF était très faible, de l’ordre de… 0,12 %, pour les quatre cents plus grandes fortunes. C’est-à-dire 12 euros pour 10 000 euros de patrimoine Ça va, non ?
Le « mystère » du non-exil des riches est alors expliqué : si les riches ne sont pas partis, c’est que l’ISF ne leur coûtait que très peu. De son côté, l’impôt sur la fortune immobilière a bien moins rapporté à Bercy – c’était le but, hein – seulement 1,6 milliards en 2020. Allez hop, 3,4 milliards de perdus tous les ans par l’État ! Soit le budget annuel du CNRS…
Les riches toujours plus riches
Avec cette étude, après bien d’autres, Emmanuel Macron confirme son statut de président des riches. En effet, les 38 000 familles les plus riches de France reçoivent désormais à elles seules les deux tiers des petits cadeaux versés par les entreprises à leurs actionnaires, contre « seulement » la moitié auparavant. Soit tout de même 14,9 milliards d’euros dans la popoche. C’est-à-dire beaucoup plus que le budget annuel de la justice (9 milliards d’euros cette année).
Enfin, l’ISF permettait de déduire les dons faits aux associations des impôts à verser. Avec sa suppression, cette possibilité a disparu. Le résultat a été net : selon l’association Recherches et solidarités, les dons aux associations effectuées par les personnes antérieurement assujetties à cet impôt ont chuté de plus de moitié en 2018 par rapport à 2017.
Bref, les décisions de Macron ont été prises au nom d’une théorie économique tout à fait inexistante, selon laquelle, si on baisse les impôts sur les très riches, ceux-ci se mettent à investir dans les entreprises. Pourquoi le feraient-ils ? Il n’y avait aucune raison de le supposer, même pour les économistes fanatiques du marché. À la place, des résultats prévus par mes potos économistes lucides, comme Thomas Porcher en 2018, ont eu lieu : les actionnaires se sont gavés, les inégalités ont explosé, les recettes publiques ont fortement baissé, tout comme les aides versées aux plus défavorisés.
Le 16 juillet 1981, à l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, ministre du Budget et à l’époque encore un peu de gauche, s’adressant aux députés de droite, leur avait dit que « faire preuve de justice sociale », c’était « prendre un peu du superflu pour alléger la charge de ceux qui n’ont même pas le nécessaire ». Ce serait bien d’y revenir, non ? ●