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La barbarie a bon dos - Charlie Hebdo

jeu. 18 août 2022 15:12:37 CEST -
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La cause est entendue : Salman Rushdie, frappé à plusieurs reprises au cou, à l’abdomen et au bras par un fanatique religieux, alors qu’il s’apprêtait à donner une conférence, a été victime de « la barbarie ». C’est le coupable le plus communément désigné par celles et ceux qui, avec plus ou moins de fermeté, ont condamné cette attaque. C’est pratique, la barbarie, ça ne mange pas de pain. Ça va avec tout et avec rien. Elle n’a pas de nom, pas de visage, pas de religion, pas de pays et elle ne fait pas de politique. D’ailleurs, dans les premiers commentaires, on a pu lire ou entendre que l’agresseur avait agi pour des motifs « encore flous ». Bref, on se perd en conjectures.

Comment peut-on encore proférer de telles âneries ? Après janvier et novembre 2015, après Nice, après Bruxelles, après Strasbourg, après Manchester, après Samuel Paty, après l’insupportable litanie des massacres et des exécutions perpétrés à travers le monde au nom de l’islam ? Et dans quel cloaque d’inconscience, de lâcheté ou de perversité macèrent celles et ceux qui les prononcent ?

Aucun « flou » n’entoure la tentative d’exécution de Salman Rushdie. C’est un crime religieux, commis par un idolâtre enragé dont les motivations ne laissent place à aucune ambiguïté ni à aucune éventuelle « abolition du discernement », si pratique à invoquer quand on veut éviter les sujets qui heurtent les « convictions ». C’est un crime d’État, ordonné par un régime totalitaire et terroriste, l’Iran, au nom d’un culte qui prétend s’imposer par la force et la peur à l’ensemble de l’humanité. Aucun dignitaire religieux iranien n’a jamais annulé la fatwa de mort lancée par l’ayatollah Khomeyni en 1989, pas plus les soi-disant « modérés » que les autres. Au nom de cette fatwa, le traducteur japonais de Rushdie avait été poignardé à mort en 1991, et son éditeur norvégien, grièvement blessé, deux ans plus tard.

Mais c’est aussi un crime qu’au fond bien d’autres religions aimeraient perpétrer avec autant d’entrain. C’est un crime qui a été fomenté avec la complicité, pas toujours passive, de milliers de petits dandys inconséquents et poseurs, parfois eux-mêmes gens de lettres, qui, bien calés au fond d’un fauteuil dans un salon bourgeois d’une capitale occidentale, ont sciemment choisi le camp de l’obscurantisme assassin contre l’irrespectueux, le « blasphémateur », l’« islamophobe ». C’est un crime qui a pu s’accomplir parce que nombre de politiciens cyniques ont préféré condamner l’écrivain plutôt que ceux qui le menaçaient. Le plus célèbre d’entre tous restant notre si sympathique Jacques Chirac, qui avait dit de Rushdie : « Je n’ai aucune estime pour lui ni pour les gens qui utilisent le blasphème pour se faire de l’argent, comme ce fumiste – je pèse mes mots – qui s’appelle Scorsese, l’auteur d’un navet, La Dernière Tentation du Christ. Quand on déchaîne l’irrationnel, il ne faut pas s’étonner de la suite des choses. » Sur son lit d’hôpital, l’écrivain est donc prié de ne pas s’étonner…

Le bourreau de Salman Rushdie n’est pas venu seul, armé de sa foi fanatique et de l’ordre d’exécution iranien. Il traînait derrière lui trente-trois ans de couardises, de bassesses, de trahisons, de postures, d’ignominies. Dans son ombre grouillaient une multitude d’alliés objectifs. Sont-ils eux aussi coupables du crime ? En tout cas, ils n’ont rien fait pour arrêter le bras du tueur. Au contraire.


Attractivité, je vomis ton nom - Charlie Hebdo

mer. 01 juin 2022 20:03:31 CEST -
https://charliehebdo.fr/2022/06/economie/attractivite-je-vomis-ton-nom/


Attractivité, je vomis ton nom
Jacques Littauer
Mis en ligne le 1er juin 2022

L'an dernier, le nombre de projets d'investissement en France a battu des records. Mais il n'y a vraiment pas de quoi se réjouir : la politique des yeux doux au capital menée par Emmanuel Macron vide les caisses publiques, pour très peu de créations d'emplois.

Exclu Web

« Depuis 2019, la France est le pays le plus attractif d’Europe en matière d’investissements étrangers. Soyons fiers ! » (Emmanuel Macron) ; « La France est pour la troisième année consécutive le pays le plus attractif pour les investissements étrangers. Continuons à transformer notre économie ! » (Bruno Le Maire) ; « Un nombre record de projets industriels. Les réformes du gouvernement jugées efficaces pour l’attractivité. » (Agnès Pannier-Runacher).

C’est peu dire que l’étude du cabinet de conseil Ernst & Young – écrire « EY » et prononcer « iouaïlle » sous peine de passer pour un plouc – à propos de « l’attractivité » de la France a fait plaisir au gouvernement. Bon, on passera sur le fait que ce cabinet de conseil est spécialisé dans la destruction légale d’emplois à l’hôpital et à l’école, nommée « optimisation fiscale ».
Dans votre face, les Anglais et les Allemands !

Ce qui est encore plus ennuyeux, c’est que son rapport n’est pas public, alors qu’il provient d’un cabinet partial dans son appréciation des « réformes du gouvernement ». Si l’on lit l’article des Échos qui y est consacré, il est quand même difficile de ne pas vouloir coller quelques baffes – ou de se tirer une balle, selon votre humeur.
À LIRE AUSSI : Libéralisme : les cabinets de conseil achèvent les services publics

Le titre fait rêver : « Investissements étrangers : la France fait la course en tête en Europe. » Titre du graphique : « Investissements étrangers : la France creuse l’écart. » On retrouve cet étrange nationalisme chez les élites libérales qui taxent si vite de « souverainiste » ou de « xénophobe » leurs adversaires politiques. Rendez-vous compte : la France fait mieux que l’Angleterre et l’Allemagne, c’est fantastique, non ? Ben non, on s’en tape.
Des indicateurs bien pourris

Selon quel critère notre pays est-il champion de l’univers ? Le nombre de projets d’investissements (1220 dans l’hexagone, contre 993 chez les Grands-Bretons et 841 chez les Teutons). Je vous laisse chanter la Marseillaise, puis reprendre votre lecture. Or cet indicateur est débile. Pourquoi ? Parce que le montant en euros de chaque projet réalisé n’est pas indiqué. Donc dix projets à 1 million vont compter plus qu’un projet à 20 millions.

Et il se trouve que les projets en France sont plus petits que ceux de chez nos ennemis héréditaires. Les amis des Échos sont obligés de le reconnaître : en France, il n’y a que 38 emplois en moyenne, contre 45 outre-Rhin et 68 outre-Manche. Bon, je vous laisse faire le calcul, mais 38 emplois multipliés par 1 220 projets, je pense que vous voyez que ce n’est pas ça qui va donner du boulot aux millions de chômeurs.
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Cela ne me pose aucun problème de reconnaître que cette attractivité accrue de notre territoire est la conséquence de la politique complètement folle de cadeaux aux entreprises menées par Emmanuel Macron depuis qu’il était ministre de l’Économie de François Hollande : Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), baisse de l’impôt sur la fortune (ISF), baisse de la fiscalité sur le capital, baisse de l’impôt sur les sociétés, aides ultra-généreuses durant le Covid, aides massives à l’embauche d’apprentis et de chômeurs… On parle là de plus de 200 milliards au cours des sept dernières années. Que cela n’attire pas quelques investisseurs chinois, américains ou suisses serait extraordinaire.
La pire politique économique depuis des décennies

Mais il se trouve que les libéraux ne cessent de dire – et ils ont raison – qu’il faut toujours comparer l’efficacité relative des différentes politiques. Par exemple, si vous voulez augmenter le Smic, ce qui soutient la consommation en France, ils vont insister sur les coûts salariaux accrus des entreprises, et proposer une autre mesure à la place.
À LIRE AUSSI : Augmenter les salaires : une bonne idée ?

Mais quand il s’agit de Macron, tout lui est permis. Pourtant, « l’efficacité » de sa politique de cadeaux aux entreprises est ridiculement faible. Cela a été démontré par France Stratégie : forte hausse des dividendes, concentrés au sein de très peu de familles, stagnation de l’investissement, aucun effet sur l’emploi. Bref, aucun « ruissellement », zéro effet sur l’économie, sauf une belle explosion des inégalités. C’est, et de loin, la pire politique économique des dernières décennies.

Donc l’État se vide de sa substance pour attirer des investisseurs qui créent très peu d’emplois et versent tout aussi peu d’impôts. Le déficit commercial atteint des niveaux sans précédent. La France est absente de toutes les dernières innovations. Notre système scolaire s’effondre. Les urgences des hôpitaux sont désormais ouvertes seulement le mardi et le jeudi de 10h12 à 11h48, une semaine sur deux, merci de bien noter ces horaires, mais… on a battu les Anglais et les Allemands en matière « d’attractivité ». Champagne ! ●


La Russie est devenue une puissance économique de troisième zone - Charlie Hebdo

dim. 27 févr. 2022 19:22:06 CET -
https://charliehebdo.fr/2022/02/economie/russie-devenue-puissance-economique-troisieme-zone/


La Russie est devenue une puissance économique de troisième zone
Jacques Littauer
Mis en ligne le 22 février 2022

L'ogre soviétique, c'est fini depuis longtemps. La Russie est devenue une puissance économique de troisième zone. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle Vladimir Poutine joue les gros bras, en Ukraine et ailleurs. Les premiers perdants de la crise actuelle, ce ne sera pas nous, mais les populations ukrainienne et russe.

Exclu Web

Au cours des dernières décennies, deux très grands pays ont connu des trajectoires on ne peut plus divergentes. D’un côté, la Chine s’est développée comme personne avant, devenant une immense puissance industrielle dont nous sommes devenus dépendants pour à peu près tout. De l’autre, la Russie, ancienne « seconde puissance du monde », premier pays capable d’envoyer des hommes dans l’espace, a vu son économie s’effondrer, l’espérance de vie chuter, et sa population diminuer.
Pauvre comme un Russe

Si l’on joue au petit jeu des comparaisons internationales, et que l’on classe les pays selon leur production totale, mesurée par leur PIB, la Russie est aujourd’hui en 11ème position seulement, dans un classement dominé par les États-Unis, la Chine et le Japon. Des différences absolues qui sont énormes : l’économie russe est 14 fois plus petite que celle de l’ancien leader du monde libre !

Même l’économie française est presque deux fois plus grosse que la russe, alors que nous sommes un pays beaucoup moins peuplé, et rempli de fonctionnaires inutiles. Si on s’intéresse au niveau de vie moyen, le tableau devient cauchemardesque pour l’orgueil slave. Au classement mondial, la Russie sombre dans les profondeurs, aux alentours de la 70ème place. Certes, tout en haut, on trouve des pays atypiques, comme Monaco, le Luxembourg et les Bermudes.
À LIRE AUSSI : Crise entre la Russie et l’Ukraine : Macron sur tous les fronts

Mais, à environ 10 000 dollars par an de revenu annuel, le Russe moyen se trouve un peu en dessous de son homologue chinois, dont les grands-parents ne savaient pas lire et mouraient de faim dans les rizières, à l’époque où l’URSS était à la pointe de la science mondiale. On ne saurait sous-estimer l’effondrement connu par ce pays, pire encore que celui de la Grèce.
Gaz : Vladimir peut-il couper le robinet ?

Pas de faux suspense ici : la réponse est niet. Tout d’abord parce qu’au-delà des articles alarmistes et des déclarations à l’emporte-pièce, l’Europe de l’Ouest n’est pas si dépendante que cela du gaz russe, qui ne représente que 20 % de notre consommation, ainsi que l’explique en détail ce remarquable article de La Tribune. Ce qui veut dire, hein, que 80 % proviennent d’ailleurs.

Même en Allemagne, le gaz russe ne représentait, en décembre de l’année dernière, que 32 % de la consommation locale, devant les gaz norvégiens (20 %) et néerlandais (12 %), les réserves du pays fournissant quant à elles 22 % du total. Le véritable problème de l’Allemagne, c’est sa dépendance à long terme à l’égard du gaz russe. Mais, pour cet hiver, entre les fournisseurs des autres pays et ses réserves, constituées il y a longtemps car ce pays intelligent ne découvre pas aujourd’hui sa dépendance, il n’y a aucune réelle inquiétude.

Et, pour une fois, l’Union européenne a anticipé. Des accords ont été passés avec l’Azerbaïdjan, qui va accroître ses livraisons au moyen d’un gigantesque gazoduc. De son côté, le Japon a déjà dérouté des navires transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) vers nos côtes. Et, entre deux défaites du PSG, nous pouvons compter sur le Qatar, toujours prêt à filer un coup de main afin de tenter de faire oublier son soutien aux pires mouvements islamistes. Ou encore l’Australie, ravie elle aussi de nous vendre son gaz goût kangourou.
À LIRE AUSSI : Qatar Charity : l’islamisme près de chez vous

Bref, lorsqu’Urusla van der Leyen, la présidente de la Commission européenne, déclare que « nous sommes en sécurité pour cet hiver », de façon tout à fait exceptionnelle, on peut la croire. Et quand nous pauvres petits occidentaux fragiles retrouverons l’habitude de porter un pull en hiver lorsque nous sommes à la maison, comme toutes les générations qui nous ont précédés l’ont fait avant nous, et comme cela sera à la fois inévitable à l’avenir, bénéfique pour notre santé et pour notre portefeuille, une large partie du problème sera résolue.
Les Russes, premiers perdants

Parce que nous dépendons de la Russie pour une ressource essentielle, physique, matérielle, et que toute production, et plus encore notre bien-être, nécessite de l’énergie, nous faisons inévitablement une importante erreur, qui est de penser que nous dépendons plus de la Russie qu’elle ne dépend de nous. Or il y a quelque chose d’encore plus important dans la vie que quelques degrés de plus : ce sont les dollars, les roubles, le brouzouf, la maille, le pèze.

Or, et c’est ce qui est incroyable, l’économie russe s’est à ce point désindustrialisée qu’elle est devenue dépendante à l’exportation de matières premières, à l’image des économies sous-développées. Sans exportations de gaz vers l’Europe, à qui la Russie va-t-elle fourguer son précieux bidule ? Car le gaz, ça ne voyage pas par Internet, ça demande des gazoducs, des navires spéciaux, les méthaniers, et des pays disposant d’installations pour le recueillir.

Et vous voyez Vladimir priver son pays d’une telle manne financière ? Et mettre au chômage des dizaines de milliers de personnes ? Même s’il arrive à exciter sa population en alimentant son nationalisme, et à la faire taire, comme il l’a fait avec Alexandre Navalny ou la si magnifique ONG Memorial, tout cela ne fait pas chauffer la marmite. Bref, il est fort peu probable que nous nous caillions les miches cet hiver à cause de l’ancien officier du KGB.
À LIRE AUSSI : Ukraine, la drôle de guerre

Aujourd’hui, et dans les jours qui viennent, les informations vont être centrées sur notre nombril européen et états-unien : Bourses en panique, peur de ruptures d’approvisionnement en gaz, blé ou nickel, menaces de sanctions. Certes, il y aura des conséquences négatives pour nous, comme un peu plus d’inflation. Mais elles resteront mineures, au contraire de ce que vivent les populations ukrainienne et russe, qui ont faim, froid, et qui risquent de mourir à cause d’un imbécile. ●


Michel Houellebecq : « La mort, je m’en fous »

ven. 07 janv. 2022 19:44:01 CET -
https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/01/02/michel-houellebecq-la-mort-je-m-en-fous_6107965_3260.html



Michel Houellebecq : « La mort, je m’en fous »

L’écrivain s’est confié au « Monde » en exclusivité, peu avant la parution d’« Anéantir », son nouveau roman, le 7 janvier. Second volet d’une rencontre en deux parties.

Par Jean Birnbaum
Publié le 02 janvier 2022 à 20h29 - Mis à jour le 05 janvier 2022 à 17h57

Temps de Lecture 10 min.

    Sélections

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Article réservé aux abonnés
Michel Houellebecq à l’occasion du débat « Dialogue in Europe », à Paris, en avril 2019.
Michel Houellebecq à l’occasion du débat « Dialogue in Europe », à Paris, en avril 2019. LIONEL BONAVENTURE/AFP
Retrouver la première partie : Article réservé à nos abonnés Michel Houellebecq : « C’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature »

Voilà trois heures que nous discutons de joies enfantines, d’histoires rêvées, d’élans poétiques, d’une littérature nourrie de bons sentiments et qui ferait taire les méchants… bref, l’ambiance est beaucoup plus gaie que prévu, jusqu’à ce que Michel Houellebecq s’étire comme un adolescent fourbu, allonge les jambes sur son lit, ménage un silence et me lance d’une voix presque fervente cet avertissement : « Oui mais il y a la mort. Thomas Bernhard l’a écrit, Pascal le dit plus brillamment, quand on pense à la mort tout le reste devient dérisoire. Cela fait un peu con de dire ça. L’amour reste un vrai sujet. La mort aussi. Prudence est à la hauteur, quoi. »

C’est vrai que Prudence fait face. De tous les personnages d’Anéantir, la femme de Paul est le plus vaillant, en tout cas ceui qui sait subvertir les déterminismes misérables, nommer les choses, donner du prix à la vie. Comme son mari, elle a fait l’ENA avant d’intégrer l’inspection des finances. Elle semble avoir renoncé à tout, aux sourires, à la tendresse, ne croisant plus Paul que par hasard dans ce que les deux colocataires nomment désormais « l’espace de vie » (un duplex très fonctionnel dans le quartier de Bercy, tout près du ministère). Chambres à part, réfrigérateurs séparés, solitudes juxtaposées…
L’aventure métaphysique

Mais tout n’est pas symétrique dans leur « désespoir standardisé ». Paul s’intéresse aux actes des terroristes qui menacent le ministre de l’économie, Bruno Juge, qu’il conseille et admire. Il suit également de près la campagne électorale entamée par le même Bruno, en soutien à la vedette de télévision Benjamin Sarfaty, très populaire chez les ados, et que le président en place souhaite installer à l’Elysée. Ces deux aspects, qui font d’abord d’Anéantir un roman d’espionnage et un récit d’anticipation politique, Prudence les néglige totalement. Que le père de Paul, figure importante de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), désormais immobilisé dans un fauteuil roulant, détienne quelque secret susceptible d’éclairer les événements récents, ne la préoccupe pas davantage. Une seule question compte à ses yeux : Paul sera-t-il capable de se montrer enfin humain ? Saura-t-il rendre sa femme heureuse, escorter son père jusqu’à la mort ?
Lire aussi (2019) : Article réservé à nos abonnés L’effet Houellebecq examiné par quatre auteurs

Après environ six cents pages, l’intrigue policière et politique passe donc au second plan pour laisser place à la seule aventure digne de ce nom, la métaphysique, comme si Prudence avait pris le dessus sur son créateur. « Souvent, l’auteur croit contrôler les personnages, mais les personnages imposent leur être à l’auteur, admet Houellebecq. On voit très bien ça dans Les Possédés, de Dostoïevski [1871-1872]. Il veut faire un livre contre le nihilisme et la gauche en Russie, il commence par décrire les conspirateurs comme des démons, mais, à un moment donné, ses personnages se mettent à manifester un pouvoir de séduction extraordinaire, et le livre se casse complètement la gueule, en tout cas d’un point de vue militant. Pour moi c’est la même chose. Si le livre bifurque comme ça à la fin, c’est parce que j’ai de plus en plus aimé le personnage de Prudence. »

A mesure qu’on progresse dans le texte, c’est un fait, Prudence relève la tête. On la découvre d’abord fragile, délaissée, vêtue d’un épais pyjama d’enfant, avec des lapins brodés sur la poitrine. En fin de parcours, c’est elle qui prendra la parole pour dire ce qu’il y a à dire, puisque même les médecins n’oseront plus. Entre-temps, on aura appris à reconnaître son courage, on l’aura vue briser les routines de l’indifférence, oser toucher Paul à nouveau : « Elle posa d’abord une main à la hauteur de sa taille, puis remonta vers sa poitrine. Il ne bougeait pas d’un centimètre. Elle eut alors des mouvements vagues, des sortes de soubresauts, et d’un seul coup elle le serra de toutes ses forces en émettant des bruits peu compréhensibles, Paul eut l’impression qu’elle pleurait. Elle portait toujours son pyjama d’enfant, au contact un peu pelucheux, nota-t-il involontairement. Elle desserra un peu son étreinte, elle le serrait quand même très fort mais ce n’était pas grave, il était bien. »
Cette poignante simplicité que peu d’écrivains sont capables d’atteindre

Je cite ces lignes d’Anéantir et j’ai tort. Car citer dix lignes rend rarement justice à un roman, surtout à un roman de Houellebecq. Celui-ci fait plus de 700 pages et, s’il se révèle si captivant, c’est qu’il installe, sur le long terme du grand livre, une mélodie émue qui vous enveloppe et vous transporte. Il est là, le génie de Houellebecq. Bien sûr, on pourra toujours saluer sa virtuosité, en particulier cette capacité à varier les registres, roman réaliste, conte philosophique, polar social, reportage ironique… Toutefois l’essentiel se trouve ailleurs, précisément dans ce que ses détracteurs lui reprochent : cette prétendue « absence de style » qui permet à Houellebecq d’être, en réalité, si présent à la littérature. Ses longues phrases produisent tout sauf une langue alambiquée, elles créent cette poignante simplicité que peu d’écrivains sont capables d’atteindre, et dont la vérité réside non pas dans telle ou telle prouesse technique, mais dans l’état physique où ces phrases nous mettent. C’est la seule chose qui compte. Or nous serons nombreux à être chamboulés par ce texte, à écorner telle page qui nous a fait hurler de rire, telle autre où les sanglots ont surgi. Que demander de plus ?

    « C’est fou, cela fait quatre heures qu’on discute, et on n’a toujours pas parlé de Zemmour ! »

J’allais justement poser la question au moment où j’entends Houellebecq s’exclamer : « Bizarre, j’ai plus de cigarettes. Ah si ! Elles sont là ! Je me disais bien, c’était pas mon genre… C’est fou, cela fait quatre heures qu’on discute, et on n’a toujours pas parlé de Zemmour ! » C’est vrai. On peut toujours, mais y tient-il vraiment ? « Non », répond-il à mi-voix. Bon. Pendant qu’il ouvre un autre paquet, je reviens donc au paradoxe qui m’occupe : lui qui passe pour un écrivain désabusé, voire cynique, n’a pas son pareil pour susciter les élans du cœur. Ainsi Anéantir nous baigne-t-il dans un flot d’humour tendre et de compassion qui font de ce roman son livre le plus bouleversant. Ici, ses précisions nous ramènent une fois de plus à l’enfance : « Quand j’étais petit, j’ai lu Servitude humaine, de Somerset Maugham [1915], et les dernières pages m’ont plongé dans une transe de pleurs. De même, Les Aventures de Monsieur Pickwick, de Charles Dickens [1836-1837], ont provoqué les plus grands éclats de rire de ma vie. Alors ça fait un peu vieux con ce que je vais dire, mais ça a toujours été le but sous-jacent de mes romans : faire rire et pleurer. C’est exactement ce que je cherche à provoquer chez les gens. Et si je n’y arrive pas, je ne suis pas content. »
Michel Houellebecq au moment de la réception de son prix Goncourt pour « La Carte et le Territoire », à Paris, en 2010.
Michel Houellebecq au moment de la réception de son prix Goncourt pour « La Carte et le Territoire », à Paris, en 2010. FRED DUFOUR/AFP

Un silence se glisse dans la discussion, le temps qu’un nouveau verre de blanc vienne soutenir une cigarette à bout de souffle, et l’écrivain s’enhardit : « Je peux dire un truc un peu théorique ? Un autre auteur dont je n’ai pas encore parlé, et ce n’est absolument pas normal, c’est Schopenhauer ! Schopenhauer [1788-1860] distingue trois catégories de tragédies. Celles où la situation tragique est créée par des circonstances exceptionnelles ; celles où elle est créée par des personnages d’une exceptionnelle méchanceté ; et enfin celles où ni les circonstances ni les personnages ne sont exceptionnels, mais où la tragédie est produite par la simple existence des choses. Une situation tragique qui suppose des personnages plutôt sympathiques, de bonne volonté, voilà ce qui lui paraît la forme suprême de tragédie. Et je suis entièrement d’accord ! »

Des personnes ordinaires, Houellebecq en rencontre souvent au coin de la rue. Il leur pose des questions, les entend dire que leur existence n’a aucun intérêt, proteste que si, et c’est sincère. « Ça arrive souvent, maintenant que je suis célèbre. Car je suis célèbre », s’amuse-t-il. S’imprégner de ce que lui racontent les gens lui est essentiel, aucun de ses personnages n’est forgé à partir de sa seule expérience personnelle. A la page 77, il est écrit : « On n’arrive jamais à imaginer à quel point c’est peu de chose, en général, la vie des gens, on n’y arrive pas davantage quand on fait soi-même partie de ces “gens”, et c’est toujours le cas, plus ou moins. »
« Anéantir » est là pour en finir avec les regrets

Chaque être humain est pour lui-même une chose étrange, le plus grand sujet d’étonnement. Si je veux me connaître, il me faut les yeux des autres. J’étais là, bien tranquille, j’avais fait mon trou dans la société, m’agitant en tous sens pour oublier ma profonde vanité. Et voilà qu’autrui vient arracher mon masque, révéler la vérité nue : un parmi d’autres, je ne suis qu’un condamné en sursis. La mort est au poste de commandement, Pascal l’a montré et Houellebecq creuse le sillon. « Anéantir part sans doute d’un regret, remarque l’auteur. Avec La Carte et le Territoire [2010], j’avais voulu traiter de la mort dans la manière la plus habituelle dont elle se présente, quelqu’un tombe malade et meurt, je voulais vraiment parler de ça, de la mort de tout le monde, sans drame autre que la mort elle-même. Mais j’avais été à moitié satisfait. »
Lire aussi (1998) : Article réservé à nos abonnés « Les Particules élémentaires », de Michel Houellebecq : dernière station avant le désert

Anéantir est là pour en finir avec les regrets, pour donner à vivre cette expérience de l’intérieur, dans l’épaisseur du temps qui passe mais aussi de la liberté recouvrée, des retrouvailles inespérées. C’est l’horizon de la mort qui oblige Paul et Prudence à se retrouver, c’est encore elle qui permet à Paul de parler à son père, de prononcer les paroles cruciales mais toujours différées, de le rencontrer, in extremis. Revenu dans la maison familiale, il découvre ainsi qu’Edouard aimait les grands vins, et également qu’il lisait Joseph de Maistre (1753-1821), haute figure de la contre-révolution. « A la fin de sa vie, j’ai découvert que mon père était devenu royaliste, se souvient Houellebecq. D’ailleurs tout ce qui concerne les relations père-fils, dans ce livre, est très lié aux relations que j’ai eues avec lui. Je lui ressemble horriblement. Déjà, quand j’étais bébé on m’a dit, “C‘est sa photo !” Et effectivement, plus j’avance en âge plus je lui ressemble, il est probable que je mourrai un peu des mêmes trucs que lui, une histoire de vaisseaux sanguins, mourir ce n’est pas bien grave, mais c’est surtout qu’il y voyait de moins en moins, et moi aussi ça commence à baisser beaucoup. Voilà pourquoi, dans la nouvelle présentation de mes livres, j’ai tenu à ce que les caractères soient suffisamment grands ! »

    « Pour Noël, des catholiques réactionnaires m’ont envoyé des messages disant qu’ils avaient prié pour moi, c’est émouvant vous ne trouvez pas ? »

Outre une couverture cartonnée et un papier au grammage renforcé, destinés à les empêcher de vieillir, les livres de Michel Houellebecq seront désormais dotés d’une tranchefile et d’un signet, comme si l’écrivain voulait préparer la suite, en tout cas une éventuelle postérité classique. A 65 ans, on est loin de la limite d’âge, n’est-ce pas un peu tôt pour tourner son regard vers la sortie ? « Je vais mourir, mais la mort je m’en fous, élude Houellebecq dans un sourire mi-blessé, mi-faraud. Je crois que c’est assez courant en fait. La peur de la mort est beaucoup moins répandue qu’on le dit, peut-être parce qu’on n’a plus aucun espoir d’une vie après la vie. On réagit juste avec une sorte de grimace écœurée, on a perdu en solennité… Pour Noël, des catholiques réactionnaires, qui sont devenus des amis, m’ont envoyé des messages disant qu’ils avaient prié pour moi, et en plus je pense que c’est vrai, c’est émouvant vous ne trouvez pas ? Il y a donc des gens qui s’intéressent à mon âme, je le prends comme un signe d’amitié très fort. Ils espèrent que je serai touché par la grâce. Mais est-ce que c’est vraiment de mon âge ? »

Ecoutant ces mots, je pense au récent livre d’Antoine Compagnon, La Vie derrière soi (Equateurs), qui fait de la fin, du renoncement et du deuil l’horizon de toute littérature. Chaque livre menace d’être le dernier, chaque fois rôde la question : « Peut-on cesser d’écrire ? » Houellebecq n’a pas encore lu ce bel essai, mais il a déjà sa réponse. Adossé à deux oreillers, les genoux bien redressés maintenant, l’écrivain repose son verre et conclut avec une moue enfantine, une vitalité désespérée : « Non, la question du dernier texte, je ne me la pose pas du tout. Celle du dernier roman, oui, parce que c’est quand même un effort spécifique, une épreuve physique, vivre longtemps aux côtés d’un personnage, à partir d’un certain âge peut-être que je n’en serai plus capable. Mais cesser complètement, je ne l’envisage pas, jusqu’au bout j’écrirai des poésies, ou même seulement des pages indignées contre l’euthanasie, jusqu’à mon lit de mort je griffonnerai des trucs. »

« Anéantir », de Michel Houellebecq, Flammarion, 730 p., 26 €, numérique 18 € (en librairie le 7 janvier).
Michel Houellebecq, repères

1956 (selon l’acte officiel ; 1958 selon d’autres sources) Michel Thomas naît à La Réunion.

1980 Il devient ingénieur agronome.

1991 Il est informaticien à l’Assemblée nationale.

1991 Il signe une biographie sous le nom de Michel Houellebecq, H. P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie (Le Rocher).

1994 Extension du domaine de la lutte (Maurice Nadeau).

1996 Le Sens du combat (Flammarion), recueil de poèmes, prix de Flore.

1998 Les Particules élémentaires (Flammarion), prix Novembre.

2000 Il lit-chante ses poèmes sur l’album Présence humaine (Tricatel).

2000 Lanzarote (Flammarion), récit de voyage.

2001 Plateforme (Flammarion).

2001 Il qualifie l’islam de « religion la plus con au monde ». Procès et relaxe un mois plus tard.

2005 La Possibilité d’une île (Fayard), prix Interallié.

2008 Il réalise l’adaptation cinématographique de La Possibilité d’une île.

2008 Ennemis publics, correspondance avec Bernard-Henri Lévy (Flammarion/Grasset).

2010 La Carte et le Territoire (Flammarion), prix Goncourt.

2014 Il joue au cinéma dans L’Enlèvement de Michel Houellebecq, de Guillaume Nicloux, et dans Near Death Experience, de Benoît Delépine et Gustave Kervern.

2015 Soumission (Flammarion).

2018 Il se marie avec Qianyum Lysis Li. C’est son troisième mariage.

2019 Sérotonine (Flammarion).

2019 Il joue dans Thalasso, de Guillaume Nicloux.

2022 Anéantir (Flammarion).



Michel Houellebecq : « C’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature »

ven. 07 janv. 2022 19:43:15 CET -
https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/12/30/michel-houellebecq-c-est-avec-les-bons-sentiments-qu-on-fait-de-la-bonne-litterature_6107688_3260.html



Michel Houellebecq : « C’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature »

L’écrivain, star mondiale de la littérature française contemporaine, se confie au « Monde » en exclusivité, peu avant la parution, le 7 janvier, d’« Anéantir », son nouveau roman. Premier volet d’une rencontre en deux parties.

Par Jean Birnbaum
Publié le 30 décembre 2021 à 10h30 - Mis à jour le 05 janvier 2022 à 13h10

Temps de Lecture 9 min.

    Sélections

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Michel Houellebecq à l’occasion du débat « Dialogue in Europe », à Paris, en avril 2019.
Michel Houellebecq à l’occasion du débat « Dialogue in Europe », à Paris, en avril 2019. LIONEL BONAVENTURE / AFP

Sur le lit aux draps froissés, il y a un paquet de cigarettes, un briquet, un cendrier débordant de mégots, une télécommande, une paire de lunettes, un pyjama en boule et aussi, vêtu d’un ensemble en jean qui a manifestement déjà bien vécu, Michel Houellebecq. Les genoux légèrement repliés, la star mondiale de la littérature française contemporaine tire sur sa cigarette et interrompt soudain ce qu’elle était en train de dire pour constater, sans trop articuler : « Je suis allongé, vous êtes assis, c’est un peu bizarre quand même, j’ai l’impression de faire une psychanalyse, là. »

C’est, en effet, d’autant plus troublant que, dès le début de notre rencontre dans le studio parisien où l’écrivain a rédigé Anéantir, un nouveau roman aussi épais (730 pages) qu’exaltant, il me raconte ses rêves. Il faut dire que son livre, thriller politique qui tourne à la méditation métaphysique, en est plein. Page après page, nous voilà propulsés dans les aventures oniriques du personnage principal, Paul Raison, 47 ans, haut fonctionnaire au ministère de l’économie et des finances, qui va peu à peu sortir de son vide existentiel, et renouer avec son père, en affrontant la mort.

Des rêves, on en trouvait déjà dans les livres passés, Les Particules élémentaires ou Sérotonine (1998 et 2019), mais c’est la première fois que Houellebecq les utilise de manière aussi systématique : « Moi, je ne m’intéresse pas trop à Freud, j’ai beaucoup de reproches à lui faire, dit-il, mais je m’intéresse vraiment aux rêves, et je suis très content d’en avoir mis autant dans Anéantir. Le rêve est à l’origine de toute activité fictionnelle. C’est pourquoi j’ai toujours pensé que tout le monde est créateur, parce que tout le monde reconstruit des fictions à partir d’éléments réels et irréels. C’est un point important. Moi, j’écris quand je me réveille. Je suis encore un peu dans la nuit, il me reste quelque chose du rêve. Je dois écrire avant de prendre une douche, en général dès qu’on s’est lavé, c’est foutu, on n’est plus bon à rien. »
Lire aussi Article réservé à nos abonnés Grâce à Michel Houellebecq, l’autre rentrée de Bruno Le Maire
Un éclat de rire sincère, ingénu

C’est donc dans cet antre enfumé, sur ce lit, que Houellebecq a rêvé Anéantir. Pour s’installer au bureau où il a travaillé, et où je l’écouterai cinq heures durant avant de continuer au restaurant, il n’avait qu’un pas à faire. Sur le mur de ce studio situé dans le quartier asiatique du 13e arrondissement, et meublé de façon désespérément fonctionnelle, on peut encore contempler les photos qui l’ont accompagné durant la rédaction du roman.

On y voit, entre autres : Bruno Le Maire dans son ministère, que Houellebecq a longuement arpenté et dont les couloirs labyrinthiques fournissent matière à l’un des rêves de Paul Raison ; l’église Notre-Dame-de-la-Nativité de Bercy, non loin de là, où le même Paul trouve confirmation qu’il est décidément peu doué pour l’espérance ; Carrie-Anne Moss, l’actrice qui joue Trinity dans Matrix, et dont la femme de Paul, Prudence, l’un des personnages les plus admirables du roman, est le portrait craché ; une chambre d’hôpital propre à accueillir les patients en « état végétatif chronique » (EVC), où l’on découvre le père de Paul, Edouard Raison, ancien des services secrets réduit au silence par un accident cérébral, au moment même où le monde est déstabilisé par une série d’attentats énigmatiques ; ou encore des paysages du Beaujolais, vertes collines et vignes écarlates, qui abriteront bientôt les poignantes retrouvailles de Paul avec son père.
Lire aussi (2010) : « La Carte et le Territoire » : Michel Houellebecq, même pas mort !

Je suis justement en train d’observer cette image de vignes quand Houellebecq se lève d’un bond pour chercher un tire-bouchon : « A mon avis, le mieux, c’est le vin blanc. Personnellement, je suis un peu alcoolique. Vous voulez boire quelque chose ? », souffle-t-il dans un éclat de rire sincère, ingénu. On dirait un bébé brandissant son hochet.

Profitons-en pour aborder de front la question-clé, celle que je brûlais de poser, celle des enfants nés ou qui auraient pu naître, tels qu’ils apparaissent au détour d’une belle page qui m’a sauté au visage, la 169. A ce stade du récit, Paul se retrouve pour la première fois seul, à l’hôpital, avec son père mutique. Après lui avoir parlé de Prudence, avec laquelle les relations sont au point mort, ainsi que de Bruno, son ami ministre, pressenti pour la prochaine élection présidentielle (nous sommes en 2027) et dont les mystérieux terroristes mettent en scène la décapitation, Paul livre un aveu inattendu : « Il ajouta qu’il regrettait de ne pas avoir eu d’enfants, et ce fut un vrai choc quand il entendit ces mots sortir de sa bouche », peut-on lire.

    « Si vous voulez prendre au sérieux ce que j’écris, il faut adopter un présupposé irrationnel selon lequel les personnages agissent par eux-mêmes »

Déjà, dans Sérotonine, l’écriture de Houellebecq laissait émerger, malgré la noirceur du monde, la possibilité d’un amour authentique. Avec Anéantir, comme en témoignent ces lignes, il va de l’avant et installe le bonheur enfantin, avéré ou même manqué, comme une manière de braver la mort qui vient. A l’instar de Paul, l’écrivain se laisse submerger par des mots qui sont plus forts que lui : « Vous savez, au moment où on corrige les épreuves d’un roman, on peut supprimer tout ce qu’on veut, confie-t-il. Il y a des choses qu’on n’a pas écrites de façon préméditée mais qu’on décide quand même de garder. Ce passage en fait partie. J’aurais pu l’enlever, par pudeur, mais non. »

Cet enfant qui surgit page 169, Houellebecq a donc décidé de le garder. De même qu’il a gardé le bébé sur lequel Prudence se jette avec « avidité », et qu’elle berce et promène le jour où sa sœur vient le lui présenter : « Quand Prudence fait ça, précise Houellebecq, ce n’est pas moi qui lui dis de le faire, c’est elle, c’est la logique interne au personnage. Ces deux passages qui vous ont frappé, je ne les ai pas pensés, ils se sont imposés. A un moment, si vous voulez prendre au sérieux ce que j’écris, il faut adopter un présupposé irrationnel selon lequel les personnages agissent par eux-mêmes. »
Michel Houellebecq, à la Foire du livre de Francfort, en octobre 2017.
Michel Houellebecq, à la Foire du livre de Francfort, en octobre 2017. BORIS ROESSLER/AFP/DPA
La littérature comme rêve maintenu

Oui, adoptons ce présupposé, d’autant plus volontiers qu’il jette une douce lumière sur la conception houellebecquienne de la littérature comme rêve maintenu, comme enfance déployée. Quand Anéantir évoque « ce bonheur irréel et brutal de l’enfance », peut-être célèbre-t-il cette sensibilité rêveuse qui fait de l’enfant un poète-né. « La poésie est un état d’enfance conservé », disait Goethe. « L’enfant est un poète élémentaire », complétait Jean Cohen, théoricien du langage que Houellebecq chérit, et qu’il m’avait demandé de lire avant de venir au rendez-vous.

« Quand j’étais enfant, je ne marchais quasiment pas, se souvient l’écrivain à travers un rideau de fumée. Pour aller d’un endroit à un autre, je courais. Et puis, à un moment donné, j’ai arrêté de courir. Quand il m’arrive de courir aujourd’hui, mais ça ne m’arrive quasiment plus, je redeviens enfant. Lorsque j’écris de la poésie, j’en suis moins sûr. Pourtant, mon enfance me renvoie à une absence de distinction entre réel et imaginaire qui, dans une certaine mesure, persiste. Le premier livre qui m’a marqué, c’est les contes d’Andersen. J’y croyais totalement. Pour moi, la Petite Sirène était une personne réelle, et aujourd’hui encore je ne suis pas très loin de penser que la Petite Sirène existe en vrai. De la même manière, je peux vous dire, là, sans mentir, que Prudence me manque. Mais, en vieillissant, on sort plus difficilement de l’état de veille, le monde accroche plus. Quand j’étais jeune, les gens se droguaient beaucoup, je crois qu’ils se droguent encore beaucoup, d’ailleurs. On cherche à échapper à la claire conscience de la situation, car un état de pleine lucidité est incompatible avec la vie. »

    « Fondamentalement, je suis une pute, j’écris pour recueillir des applaudissements »

La poésie est un jeu d’enfants, l’élan des rêveurs qui se tiennent debout. Mi-novembre 2021, lors d’un spectacle son et lumière accueilli par le Rex Club, à Paris, Michel Houellebecq a incarné cette conviction en lisant ses poèmes avec trois jeunes comédiens. L’ambiance était nébuleuse, la musique électronique (et signée Traumer), le public heureux. Cela glissait d’un texte à l’autre, c’était à la fois très pro et enthousiaste, on avait l’impression que, pour retrouver des forces, Houellebecq, comme Paul, devait renouer avec ses jeunes années.

Jadis, en effet, tout avait commencé comme ça, par des lectures de poèmes en public. « A l’époque, déjà, je voyais les gens vibrer, se souvient l’auteur d’Anéantir. Au départ, je faisais ça pour plaire aux filles, voilà, c’est tout. Il s’agissait de montrer que j’étais quelqu’un d’intéressant, ce qui n’était pas évident au premier abord. Donc, faut pas non plus exagérer avec l’enfance, l’esprit d’enfance, tout ça. Fondamentalement, je suis une pute, j’écris pour recueillir des applaudissements. Pas pour l’argent, mais pour être aimé, admiré. Après, faut pas prendre négativement le mot “pute”. On est content de faire plaisir, en même temps. »
Tenir à distance les médiocres, les méchants

Disant ces mots, Houellebecq prend un air bravache, assez fier de lui. Mais on n’y croit pas. A lire ses poèmes comme son nouveau roman, à mesurer la nécessité et la puissance qui commandent sa plume, on sent bien que, succès ou pas, il aurait tenu bon sur son désir.

On sent bien, surtout, que son écriture cherche plus que jamais à fonder, sinon une espérance, en tout cas des valeurs. On le perçoit là, tout près, disponible, prévenant, en pleine possession de ses forces, heureux de nous proposer une morale qui permet d’habiter le monde, de supporter la vie, de tenir à distance les médiocres, les méchants. Dans Anéantir, ils sont remarquablement peu nombreux, ils ne sont même qu’un, ou plutôt une, en la personne d’Indy, une journaliste sans foi ni loi (évidemment), dont le portrait est à hurler de rire.
Lire aussi (2005) : « La Possibilité d’une île » : Michel Houellebecq, un voyage au bout de l’humanité

La force à laquelle cèdent les personnages de Houellebecq, ce n’est pas le Mal, c’est la tentation du Bien. Et les pages les plus poignantes de son roman sont celles où il parvient à faire surnager, au milieu de la solitude et de la déréliction, des gestes fugaces qui vous font pleurer.

« Contrairement à ce que prétend une formule célèbre, tranche l’auteur d’Anéantir, je pense que c’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature. Tout au long du XXe siècle, la littérature a été traversée par une fascination pour la transgression, le Mal. D’où la complaisance à l’égard d’auteurs collabos comme Morand, Drieu, Chardonne, que je trouve médiocres. Il n’y a pas besoin de célébrer le Mal pour être un bon écrivain ! Dans mes livres, comme dans les contes d’Andersen, on comprend tout de suite qui sont les méchants et qui sont les gentils. Et s’il y a très peu de méchants dans Anéantir, j’en suis très content. La réussite suprême, ce serait qu’il n’y ait plus de méchants du tout ! »


Laurent Bouvet, mort d'un défenseur acharné d'une laïcité sans adjectif - Charlie Hebdo

lun. 20 déc. 2021 18:31:28 CET -
https://charliehebdo.fr/2021/12/societe/laurent-bouvet-mort-defenseur-acharne-dune-laicite-sans-adjectif/


Laurent Bouvet, mort d’un défenseur acharné d’une laïcité sans adjectif
Natacha Devanda
Mis en ligne le 20 décembre 2021

Laurent Bouvet, l’un des fondateurs du Printemps Républicain, est mort samedi 18 décembre à l’âge de 53 ans. La maladie de Charcot aura eu prématurément raison de cet ardent défenseur d’une laïcité sans concession ni adjectif. Retour sur un parcours.

Exclu Web

Pur produit de la méritocratie républicaine et de l’école laïque, Laurent Bouvet a commencé sa carrière professionnelle à l’université. Comme pas mal de profs de sa génération, Laurent Bouvet, enseignant en science politique à la faculté de Nice puis de Versailles ensuite, a été durant vingt ans un fervent militant socialiste. Avant d’être dans les meilleurs termes avec des macronistes comme Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer, notamment. Il est vrai que l’homme, qui se qualifiait toujours politiquement à gauche, avait comme cheval de bataille la défense de la laïcité. Une laïcité non adjectivée, c’est-à-dire ni « libre », ni « ouverte » aux quatre vents, ni auberge espagnole pour béni-oui-oui de toutes confessions.
À LIRE AUSSI : La laïcité à l’usage des marcheurs

Il se fera vraiment connaître du grand public lorsqu’il fonde, avec le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme Gilles Clavreul, un mouvement politique : le Printemps Républicain.

C’était en 2016, soit juste après les attentats islamistes du 7 janvier et du 13 novembre 2015. Il reprochait alors à la gauche de fermer les yeux sur ce qui sautait pourtant à la figure : la folle dangerosité de l’islam politique, la radicalisation religieuse et les replis communautaristes qui fracturent la société française. Ses adversaires – nombreux à gauche – n’ont eu de cesse de le considérer comme obsédé par les questions identitaires. « Ils m’ont zemmourisé », répétait-il alors. Manière de dire que, pour fermer le débat sur les questions qui fâchent à gauche, rien de mieux que de balancer à tout va des « Le Pen », « Zemmour » et autres « fachos » à ceux qui osent ruer dans les brancards de la pensée dominante où, à la tête des structures politiques, syndicales, associatives, une forme de wokisme se porte bien. C’est, par exemple, les thèses racialistes qui, portées par une minorité agissante, trouvent des échos chez certains médias classés à gauche, chez La France Insoumise, EELV, ou au NPA par exemple. Lesquels se sentent obligés de se positionner pour, au risque sinon de passer pour d’affreux racistes. Ce qui est, à bien y réfléchir, un comble et l’inversion de toutes les valeurs d’une gauche héritière de la philosophie de Lumières.
L’école publique n’est pas un fast-food !

Bouvet, sur ce sujet, avait les idées claires. En gamin de banlieue, issu d’un milieu modeste, il savait d’où il venait et ce qu’il devait à l’école publique émancipatrice. Il était encore de ceux qui considèrent que la question sociale est au moins aussi importante que le « sociétal » et que les mécanismes économiques qui fabriquent les inégalités sociales devraient continuer d’alimenter la gauche, seul moyen pour elle de rester universaliste, républicaine et laïque.

Bien sûr, cela ne l’a pas empêché de commettre quelques bourdes sur les réseaux sociaux, où il postait abondamment ses prises de position sans concession. Par exemple, lors d’une campagne de communication de la FCPE pour les élections des parents d’élèves en 2019, le public découvre, sur l’une des affiches, une femme voilée avec cette légende : « Oui, je vais en sortie scolaire et alors ? La laïcité c’est accueillir à l’école tous les parents sans exception. » De quoi faire penser à la pub McDo et son slogan : « Venez comme vous êtes. » Or, si l’école publique est dans un sale état, elle n’est pas pour autant un fast-food. Laurent Bouvet embraye donc aussitôt et publie sur les réseaux sociaux des parodies pour railler l’association. On y voit un Sean Connery en plein tournage du (vieux) film Zardoz en slip rouge à bretelles et pistolet à la main avec la mention « Je vais en sortie scolaire, et alors ? », un Michael Jackson (allusion lourdingue aux penchants pédophiles de la star de la pop) puis, en guise de bouquet final, deux djihadistes barbus, armes au poing et index pointés vers le ciel, toujours avec le même slogan à la sauce Big Mac.
À LIRE AUSSI : La FCPE, c’est comme le vieux poisson, ça pue et ça pourrit par la tête

Ces posts donneront lieu à des centaines de plaintes d’internautes pour exiger la démission de Laurent Bouvet de son poste de membre du Conseil des sages de la laïcité. Pour s’en défendre, il évoquera alors « l’esprit Charlie ». Une explication un peu courte pour ce débatteur hors pair. On ne lui en voudra pas.

Défenseur acharné de la liberté de ton et d’expression, il était un soutien indéfectible de Charlie Hebdo où il se retrouvait dans une défense de la laïcité, là aussi sans adjectif ni instrumentalisation. ●


Suppression de l’ISF : les trois erreurs du débutant Manu - Charlie Hebdo

jeu. 28 oct. 2021 11:11:14 CEST -
https://charliehebdo.fr/2021/10/economie/suppression-isf-trois-erreurs-debutant-manu/


Suppression de l’ISF : les trois erreurs du débutant Manu
Jacques Littauer
Mis en ligne le 25 octobre 2021

En 2017, contrairement à toute logique économique, Emmanuel Macron avait réussi à faire croire qu’en baissant les impôts des très riches, ceux-ci allaient se mettre à investir plus dans les entreprises. Quatre ans après, les résultats sont tombés. Ils sont, sans surprise, très mauvais. Alors qu'aux États-Unis, les démocrates vont soumettre au Congrès un impôt sur les ultra-riches, Macron continue à nier les évidences, fier d'être et de rester le président de ses meilleurs amis.

Exclu Web

« Remplacer l’ISF par un impôt sur la fortune immobilière » : sur ce point, on ne peut pas reprocher à Emmanuel Macron de nous avoir pris par surprise, cette phrase figurant explicitement dans son programme de 2017. En 2019, les « gilets jaunes » demanderont le rétablissement de l’ISF. Ce à quoi le Président a répondu : « Il ne faut pas raconter des cracks, ce n’est pas parce qu’on remettra l’ISF que la situation d’un seul gilet jaune s’améliorera. »

Pour Emmanuel Macron, cette mesure devait rendre l’économie française plus compétitive. En réalité, sa décision repose sur une erreur de diagnostic, qui a conduit à une énorme erreur de politique économique, aux dépens des ressources de l’État.
Première erreur : des exilés fiscaux, où ça ?

Le 10 décembre 2018, en pleine crise des gilets jaunes, le Président explique son choix dans une allocution aux Français : « Je sais que certains voudraient dans ce contexte que je revienne sur la réforme de l’impôt sur la fortune mais pendant près de 40 ans, il a existé ; vivions-nous mieux durant cette période ? Les plus riches partaient et notre pays s’affaiblissait. »

Petit problème : aucune étude n’a démontré la réalité de cet exil fiscal, présenté comme une évidence depuis la création de l’ISF, en 1988. Le plus marrant est que cet argument a été démonté par le magazine Forbes, celui des milliardaires, qualifiant, études à l’appui, cette affirmation récurrente dans le monde des affaires de « (très) loin d’être exacte » !

Cela n’empêchait pas, en février 2019, le journal Les Échos de titrer : « EXCLUSIF : Ce que l’exil fiscal coûte aux finances publiques ». Résultat : les pertes de collecte d’ISF de 20 millions d’euros par an. Mais si on se rappelle que l’ISF rapportait 5 milliards, cela fait exactement une perte de 4 euros de perdus pour 1 000 euros collectés. Oh mon Dieu.

D’ailleurs, entre 2011 et 2017, le nombre de redevables de l’ISF a nettement augmenté, passant de 287 000 à 358 000 ménages. Or, s’ils sont restés, c’est qu’ils ne sont pas partis. L’exode fiscal des plus riches est décidément introuvable.
À LIRE AUSSI : Macron, président des riches et « en même temps » des pauvres
Deuxième erreur : la suppression de l’incitation à investir

Les concepteurs de l’ISF étaient conscients des potentiels effets négatifs sur l’outil de production. C’est pourquoi les biens professionnels étaient exclus du patrimoine pris en compte. Mais comme Manu l’a dit, toujours en décembre 2018 : « Conformément aux engagements pris devant vous, cet impôt a été supprimé pour ceux qui investissent dans notre économie et donc aident à créer des emplois. »

Or, il était possible de déduire l’investissement dans les PME de son ISF. En supprimant l’ISF, Emmanuel Macron a en fait réduit l’incitation à investir dans les PME ! Cet argument, évident pour tout économiste honnête, aurait dû être dit et répété au moment de la suppression de l’ISF. Mais combien de fois l’avez-vous entendu ?

Résultat : c’est sans surprise que France Stratégie – organisme public dirigé par Philippe Martin, proche conseiller d’Emmanuel Macron en 2017 – a montré que la suppression de l’ISF n’avait atteint aucun de ses objectifs. Le comité d’évaluation a montré trois choses dans son rapport : aucune hausse des investissements productifs ; une hausse des dividendes versés aux actionnaires ; pas de transmission plus facile des entreprises.

Les idéologues d’En Marche ont répondu que cette réforme était dans une logique « de long terme », et que les effets allaient venir, si si. Ce à quoi Laurent Bach, membre de l’Institut des politiques publiques, professeur à l’ESSEC et coauteur de la partie ISF du rapport, a rétorqué que « si on avait dû voir une réaction des entreprises aux réformes, on l’aurait déjà vue ».
À LIRE AUSSI : Fiscalité : les multinationales iront toutes au paradis
Troisième erreur : la baisse des recettes publiques

Manu et Édouard Philippe nous avaient raconté la fable habituelle selon laquelle lorsque l’État diminue les impôts, et donc se prive de recettes fiscales, ses recettes fiscales augmentent. Oui oui. Cet argument absurde est servi par toutes les droites du monde depuis un certain Renald Reagan et un certain Arthur Laffer, « inventeur » d’une courbe bidon selon laquelle les recettes fiscales diminuent quand les impôts augmentent.

C’est en son nom qu’Édouard Balladur, puis Christine Lagarde et Nicolas Sarkozy n’ont cessé de baisser les impôts. Ce qui avait valu à l’époque une énorme colère du député Gilles Carrez, qui avait pointé, en 2010, une perte de 100 milliards d’euros pour la collectivité.

En 2017, dernière année de sa mise en œuvre, l’ISF avait rapporté un peu plus de 5 milliards d’euros. Soit un impôt moyen de 14 000 par foyer fiscal, une somme pas énorme pour des millionnaires. L’étude de France Stratégie montre même que le taux réel de taxation de l’ISF était très faible, de l’ordre de… 0,12 %, pour les quatre cents plus grandes fortunes. C’est-à-dire 12 euros pour 10 000 euros de patrimoine Ça va, non ?

Le « mystère » du non-exil des riches est alors expliqué : si les riches ne sont pas partis, c’est que l’ISF ne leur coûtait que très peu. De son côté, l’impôt sur la fortune immobilière a bien moins rapporté à Bercy – c’était le but, hein – seulement 1,6 milliards en 2020. Allez hop, 3,4 milliards de perdus tous les ans par l’État ! Soit le budget annuel du CNRS…
Les riches toujours plus riches

Avec cette étude, après bien d’autres, Emmanuel Macron confirme son statut de président des riches. En effet, les 38 000 familles les plus riches de France reçoivent désormais à elles seules les deux tiers des petits cadeaux versés par les entreprises à leurs actionnaires, contre « seulement » la moitié auparavant. Soit tout de même 14,9 milliards d’euros dans la popoche. C’est-à-dire beaucoup plus que le budget annuel de la justice (9 milliards d’euros cette année).

Enfin, l’ISF permettait de déduire les dons faits aux associations des impôts à verser. Avec sa suppression, cette possibilité a disparu. Le résultat a été net : selon l’association Recherches et solidarités, les dons aux associations effectuées par les personnes antérieurement assujetties à cet impôt ont chuté de plus de moitié en 2018 par rapport à 2017.

Bref, les décisions de Macron ont été prises au nom d’une théorie économique tout à fait inexistante, selon laquelle, si on baisse les impôts sur les très riches, ceux-ci se mettent à investir dans les entreprises. Pourquoi le feraient-ils ? Il n’y avait aucune raison de le supposer, même pour les économistes fanatiques du marché. À la place, des résultats prévus par mes potos économistes lucides, comme Thomas Porcher en 2018, ont eu lieu : les actionnaires se sont gavés, les inégalités ont explosé, les recettes publiques ont fortement baissé, tout comme les aides versées aux plus défavorisés.

Le 16 juillet 1981, à l’Assemblée nationale, Laurent Fabius, ministre du Budget et à l’époque encore un peu de gauche, s’adressant aux députés de droite, leur avait dit que « faire preuve de justice sociale », c’était « prendre un peu du superflu pour alléger la charge de ceux qui n’ont même pas le nécessaire ». Ce serait bien d’y revenir, non ? ●


Les haies sont en danger (et la biodiversité avec) - Charlie Hebdo

mar. 04 mai 2021 18:40:33 CEST -
https://charliehebdo.fr/2021/05/ecologie/les-haies-sont-en-danger-et-la-biodiversite-avec/


Les haies sont en danger (et la biodiversité avec)
Allain Bougrain-Dubourg · Mis en ligne le 4 mai 2021

Jean Marc Lalloz, docteur vétérinaire de son état, n'a rien perdu de son enthousiasme. Il y a quelques décennies, il militait au côté de René Dumont, aujourd'hui, il se bat en Mayenne pour dénoncer la destruction des haies et du bocage.

Exclu Web

 « Lorsqu’il y a 3 ans nous avons créé le Collectif Bocages 53 en révélant la maltraitance de la nature, les médias se sont précipités pour faire écho à notre action. Aujourd’hui, la situation est devenue aussi banale que les trains qui arrivent à l’heure. Tout le monde s’en fout ! », lâche Jean Marc Lalloz, malgré tout, encore motivé. Parmi les premières affaires dénoncées par les lanceurs d’alerte, un chantier pirate estimé à 3 000, voire 3 500 tonnes de bois déchiqueté, soit 180 à 350 km potentiels de haies ratissées au nom du profit. Revisitant les affaires depuis près de 60 ans, le collectif Bocages 53 en vient au pénible constat : « Malgré les déclarations d’intention et la doctrine officielle « Éviter, Réduire, Compenser », la protection de ces milieux n’a manifestement pas fonctionné. »

Reste à savoir quelle biodiversité trouve refuge dans les haies. « C’est une véritable tour de Babel », s’enthousiasme Pauline Rattez, en charge de l’agriculture à la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux). « Près de 600 espèces végétales sont recensées dans les haies. Un chêne pédonculé peut héberger jusqu’à 284 espèces d’insectes, l’aubépine 149 et le frêne 41. » L’agence Alterre Bourgogne a enquêté sur les haies champêtres. Elle identifie au moins 35 espèces de mammifères, allant de l’écureuil à la belette, en passant par huit espèces de chauve-souris et plus de 60 espèces d’oiseaux. Une véritable volière à ciel ouvert accueillant la chouette chevêche, comme l’accenteur mouchet, la perdrix grise ou la sittelle torchepot. En résumé, chaque strate de haie abrite des espèces spécifiques, y compris au plus bas avec les batraciens ou les reptiles.
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La bienfaisance de ce biotope semble faire l’unanimité parmi les scientifiques, comme les agriculteurs ou les citoyens curieux de nature. Les haies génèrent des conditions microclimatiques favorables à la production agricole. Elles servent de brise-vent pour le bétail, retiennent l’eau et les sols, hébergent des auxiliaires capables de combattre les ravageurs de culture, font office de corridor pour la circulation des espèces ou permettent de trouver d’autres débouchés comme les fruits, les bois de chauffage ou d’œuvre. Ainsi, une haie peut produire quatre tonnes de bois au kilomètre chaque année, ce qui représente la moitié de la consommation annuelle d’un ménage pour le chauffage. Enfin, 1 km absorbe entre six et dix tonnes de dioxyde de carbone par an.

Face à cette largesse de la nature, il est difficile d’imaginer que l’on pourrait se passer de la manne. Les chiffres prouvent pourtant le contraire. Philippe Hirou, président de l’Afac-Agroforestie fait un bilan accablant : « C’est l’hécatombe. Depuis 1950, près de 1,4 million de kilomètres de haies ont été détruits afin d’obtenir de larges parcelles cultivables, plus adaptées à la mécanisation agricole. Il ne reste plus que 750 000 km aujourd’hui et, chaque année, 11 000 km continuent de disparaître. » Ces propos tenus à la une de la lettre de l’OFB renvoient à la pathétique saga des haies.
Plusieurs pays protègent les haies au travers de la loi
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À leur apogée, au début du 20e siècle, la France en comptait plus de 2 millions de kilomètres, ainsi que la plus grande surface de vergers d’Europe. Le recul s’explique par la volonté d’agrandir quatre fois plus les parcelles pour laisser manœuvrer les machines. Alors que les chevaux de trait flirtaient avec la végétation, il faut aujourd’hui une largeur minimale de 10 à 20 mètres pour que les engins agricoles en prennent à leur aise. Rassurantes, les premières « Rencontres Nationales de la Haie Champêtre » rappellent que, depuis 20 ans, près de 30 000 km ont été plantés, ce qui permet de stabiliser l’hémorragie. Par ailleurs, les initiatives en faveur de la résilience sont nombreuses.

L’Office Français de la Biodiversité a décidé de mettre la haie à l’honneur en 2021 et Conseils Généraux ou Régionaux, Ministère de l’Écologie et de l’Agriculture, associations de protection de la nature ou chasseurs se félicitent d’être les plus efficaces des planteurs. Même le président de la République, dans la cadre du « One Planet Summit », a promis de planter 7 000 km de haies d’ici fin 2022, en lâchant au passage 50 millions d’euros. N’empêche. Plusieurs pays, comme la Suisse, l’Autriche et surtout la Grande-Bretagne protègent les haies au travers de la loi. Même chose en Espagne, dans des régions comme l’Estrémadure. L’Europe aussi ne démérite pas, en conditionnant en partie ses aides au bon comportement à l’égard des haies.

En France, la réglementation se montre beaucoup plus… souple, pour ne pas dire laxiste. Même classé au titre du PLU (Plan Local d’Urbanisme), il suffit de faire une déclaration préalable à la mairie pour effectuer une coupe ou abattre un arbre. Quant au Code Rural, il renvoie la responsabilité au préfet, qui peut prononcer la protection des boisements et autres haies et qui s’autorise, de la même manière, à en accepter l’abattage. L’amende potentielle est de 3 750 €, pas de quoi faire peur. En revanche, si la taille en vient à affecter les oiseaux durant leur période de reproduction, le délit se montre plus lourd : deux ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour destruction d’une espèce protégée. Cela dit, personne n’a jamais été ainsi sanctionné. Paradoxalement, à l’échelle nationale, il n’existe pas d’interdiction de tailler une haie pendant la période de reproduction des oiseaux (sauf pour les agriculteurs, entre le 1er avril et le 31 juillet). L’Office Français de la Biodiversité doit donc se contenter de « recommander » de ne pas intervenir du 15 mars au 31 juillet. Cette aimable suggestion laisse trop souvent les mairies indifférentes, de même que les particuliers. Et l’on voit mal comment les personnels de l’OFB, déjà en sous-effectifs, peuvent traquer les tronçonneuses. Répondant à « Actu Environnement » au nom de l’OFB, Jean Yves Olivier, en charge de la police en Franche-Comté, admet que, « faute de sanctionner ou de pouvoir le faire, nous proposons au procureur de la République la réparation de dommages, assortie d’une amende  ». Ainsi, on restaure en s’exonérant de véritables poursuites.
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En Alsace, comme souvent, il en va autrement. Dans le Bas-Rhin et le Haut-Rhin, il est interdit de détruire ou d’entretenir les haies durant la période sensible, soit de début avril à fin juillet. « Pourquoi ne pas étendre la mesure à l’ensemble du Grand Est ? », a lancé la LPO Alsace qui vient de se voir confier un dossier d’étude par la DREAL Grand-Est (autrement dit, le Ministère de la Transition Écologique). En 2022, un bilan convaincant sera rendu. « Il pourrait servir de modèle au reste du territoire français », se plaît à espérer l’association.

En attentant, l’AFAC-Agroforestie souhaite un véritable élan immédiat en faveur des haies : « La renégociation de la PAC 2023 constitue l’opportunité à ne pas manquer, il faut que nous nous mobilisions tous. » De son côté, l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), qui est à la biodiversité ce que le GIEC est au climat, a pourtant martelé que la première cause de déclin de la biodiversité restait l’agriculture intensive et son cortège de pratiques meurtrières. Tous les décideurs ont entendu le message, mais l’ont-ils écouté ? Sûrement pas lorsqu’on constate que, chaque année, il disparaît quatre fois plus de kilomètres de haies qu’il ne s’en plante ! ●


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lun. 15 mars 2021 18:04:40 CET -
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