La Russie est devenue une puissance économique de troisième zone
Jacques Littauer
Mis en ligne le 22 février 2022
L'ogre soviétique, c'est fini depuis longtemps. La Russie est devenue une puissance économique de troisième zone. C'est d'ailleurs la raison principale pour laquelle Vladimir Poutine joue les gros bras, en Ukraine et ailleurs. Les premiers perdants de la crise actuelle, ce ne sera pas nous, mais les populations ukrainienne et russe.
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Au cours des dernières décennies, deux très grands pays ont connu des trajectoires on ne peut plus divergentes. D’un côté, la Chine s’est développée comme personne avant, devenant une immense puissance industrielle dont nous sommes devenus dépendants pour à peu près tout. De l’autre, la Russie, ancienne « seconde puissance du monde », premier pays capable d’envoyer des hommes dans l’espace, a vu son économie s’effondrer, l’espérance de vie chuter, et sa population diminuer.
Pauvre comme un Russe
Si l’on joue au petit jeu des comparaisons internationales, et que l’on classe les pays selon leur production totale, mesurée par leur PIB, la Russie est aujourd’hui en 11ème position seulement, dans un classement dominé par les États-Unis, la Chine et le Japon. Des différences absolues qui sont énormes : l’économie russe est 14 fois plus petite que celle de l’ancien leader du monde libre !
Même l’économie française est presque deux fois plus grosse que la russe, alors que nous sommes un pays beaucoup moins peuplé, et rempli de fonctionnaires inutiles. Si on s’intéresse au niveau de vie moyen, le tableau devient cauchemardesque pour l’orgueil slave. Au classement mondial, la Russie sombre dans les profondeurs, aux alentours de la 70ème place. Certes, tout en haut, on trouve des pays atypiques, comme Monaco, le Luxembourg et les Bermudes.
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Mais, à environ 10 000 dollars par an de revenu annuel, le Russe moyen se trouve un peu en dessous de son homologue chinois, dont les grands-parents ne savaient pas lire et mouraient de faim dans les rizières, à l’époque où l’URSS était à la pointe de la science mondiale. On ne saurait sous-estimer l’effondrement connu par ce pays, pire encore que celui de la Grèce.
Gaz : Vladimir peut-il couper le robinet ?
Pas de faux suspense ici : la réponse est niet. Tout d’abord parce qu’au-delà des articles alarmistes et des déclarations à l’emporte-pièce, l’Europe de l’Ouest n’est pas si dépendante que cela du gaz russe, qui ne représente que 20 % de notre consommation, ainsi que l’explique en détail ce remarquable article de La Tribune. Ce qui veut dire, hein, que 80 % proviennent d’ailleurs.
Même en Allemagne, le gaz russe ne représentait, en décembre de l’année dernière, que 32 % de la consommation locale, devant les gaz norvégiens (20 %) et néerlandais (12 %), les réserves du pays fournissant quant à elles 22 % du total. Le véritable problème de l’Allemagne, c’est sa dépendance à long terme à l’égard du gaz russe. Mais, pour cet hiver, entre les fournisseurs des autres pays et ses réserves, constituées il y a longtemps car ce pays intelligent ne découvre pas aujourd’hui sa dépendance, il n’y a aucune réelle inquiétude.
Et, pour une fois, l’Union européenne a anticipé. Des accords ont été passés avec l’Azerbaïdjan, qui va accroître ses livraisons au moyen d’un gigantesque gazoduc. De son côté, le Japon a déjà dérouté des navires transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) vers nos côtes. Et, entre deux défaites du PSG, nous pouvons compter sur le Qatar, toujours prêt à filer un coup de main afin de tenter de faire oublier son soutien aux pires mouvements islamistes. Ou encore l’Australie, ravie elle aussi de nous vendre son gaz goût kangourou.
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Bref, lorsqu’Urusla van der Leyen, la présidente de la Commission européenne, déclare que « nous sommes en sécurité pour cet hiver », de façon tout à fait exceptionnelle, on peut la croire. Et quand nous pauvres petits occidentaux fragiles retrouverons l’habitude de porter un pull en hiver lorsque nous sommes à la maison, comme toutes les générations qui nous ont précédés l’ont fait avant nous, et comme cela sera à la fois inévitable à l’avenir, bénéfique pour notre santé et pour notre portefeuille, une large partie du problème sera résolue.
Les Russes, premiers perdants
Parce que nous dépendons de la Russie pour une ressource essentielle, physique, matérielle, et que toute production, et plus encore notre bien-être, nécessite de l’énergie, nous faisons inévitablement une importante erreur, qui est de penser que nous dépendons plus de la Russie qu’elle ne dépend de nous. Or il y a quelque chose d’encore plus important dans la vie que quelques degrés de plus : ce sont les dollars, les roubles, le brouzouf, la maille, le pèze.
Or, et c’est ce qui est incroyable, l’économie russe s’est à ce point désindustrialisée qu’elle est devenue dépendante à l’exportation de matières premières, à l’image des économies sous-développées. Sans exportations de gaz vers l’Europe, à qui la Russie va-t-elle fourguer son précieux bidule ? Car le gaz, ça ne voyage pas par Internet, ça demande des gazoducs, des navires spéciaux, les méthaniers, et des pays disposant d’installations pour le recueillir.
Et vous voyez Vladimir priver son pays d’une telle manne financière ? Et mettre au chômage des dizaines de milliers de personnes ? Même s’il arrive à exciter sa population en alimentant son nationalisme, et à la faire taire, comme il l’a fait avec Alexandre Navalny ou la si magnifique ONG Memorial, tout cela ne fait pas chauffer la marmite. Bref, il est fort peu probable que nous nous caillions les miches cet hiver à cause de l’ancien officier du KGB.
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Aujourd’hui, et dans les jours qui viennent, les informations vont être centrées sur notre nombril européen et états-unien : Bourses en panique, peur de ruptures d’approvisionnement en gaz, blé ou nickel, menaces de sanctions. Certes, il y aura des conséquences négatives pour nous, comme un peu plus d’inflation. Mais elles resteront mineures, au contraire de ce que vivent les populations ukrainienne et russe, qui ont faim, froid, et qui risquent de mourir à cause d’un imbécile. ●